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Soudan : le lieutenant Mohamed Siddiq mort en héros de la révolution

24 mai 2024
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Soudan : le lieutenant Mohamed Siddiq mort en héros de la révolution

Le lieutenant Mohamed Siddiq a été assassiné, vraisemblablement par les Forces de soutien rapide, dans le contexte de la guerre ravageant le Soudan depuis un an. Pendant la révolution de décembre 2018, le jeune homme avait été le premier militaire à soutenir les manifestants. Les Soudanais pleurent un héros de la révolution. Reportage.

Le lieutenant Mohamed Siddiq en 2018 avec les révolutionnaires

Dimanche 19 mai, le portrait du lieutenant Mohamed Siddiq a envahi les réseaux sociaux soudanais. Même les pro-démocratie opposés à la guerre entre les Forces armées soudanaises (FAS) et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) partagent largement la photo - ou une représentation graphique - de cet homme en treillis. Une vidéo amateur de 18 secondes, tournée quelques heures avant son assassinat, circule. On y voit le militaire tenir tête aux paramilitaires qui l’ont capturé. L’un d’eux lui assène une violente gifle.

Dans un enregistrement audio publié par le média soudanais Alnilin, un membre des FSR admet qu’un de ses collègues a tiré une balle fatale au détenu. Cela constitue une violation du droit international humanitaire. La Convention de Genève relative aux prisonniers de guerre interdit en effet « les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices ». Dans un communiqué publié après la disparition de Mohamed Siddiq, I’ONG Sudanese Human Rights Initiative appelle les deux camps à « respecter les normes internationales en matière de traitement des détenus, garantissant leur sécurité et leur traitement humain ».

Ce meurtre aurait néanmoins pu s’additionner, presque banalement, aux multiples exactions perpétrées par les deux camps qui s’affrontent depuis le 15 avril 2023, si la victime ne faisait pas figure de héros. Du moins aux yeux des révolutionnaires qui ont déchu le dictateur Omar el-Béchir le 11 avril 2019.

Un tournant vers la chute de Béchir

2019 : Vidéo du lieutenant Mohamed Siddiq avec les manifestants prodémocratie

« Cinq jours plus tôt, le 6 avril, nous avons instauré un sit-in devant le quartier général de l’armée, se souvient l’ingénieur en informatique Mutasim Khider. Au bout de trois jours, Mohamed s’est rangé de notre côté et a assuré qu’il nous protégerait peu importe ce qu’il arriverait. » L’unité dirigée par le lieutenant l’a suivi. Un véritable tournant dans le mouvement populaire amorcé en décembre 2018, par des civils épuisés par trois décennies de dictature militaro-islamiste. « Pour une fois, des membres de l’armée, en particulier des soldats des plus bas échelons, ont fait leur travail en protégeant leur peuple et leur pays », observe Dallia Abdelmoniem, analyste au centre de réflexion soudanais Fikra.

L’étudiante Mina Ihssan, réfugiée en Égypte à cause de cette guerre qui a jeté 8,8 millions de Soudanais sur les routes à la date du 15 mai selon le HCR, se rappelle de l’espoir suscité par ce geste de bravoure. « Je ne pouvais pas l’apercevoir à cause de la foule, mais tout le monde s’est mis à parler de lui. Il fait partie d’un petit groupe de militaires qui nous ont soutenus quand les autres ne l’ont pas fait », souligne la jeune activiste, qui a rejoint, en 2020, de nouvelles manifestations pour protester contre le licenciement de Mohamed Siddiq.

Des généraux hostiles à la révolution

À cette époque, Siddig Tawer comptait parmi les six civils qui siégeaient au sein du Conseil de souveraineté dirigé par l’armée dans le cadre de la transition démocratique. « Quand nous avons interrogé les généraux sur l’éviction du lieutenant, ils nous ont répondus que le règlement de l’armée ne permet pas de prendre position politiquement, et que cela ouvrirait la voie à une déstabilisation de l’institution. Cette décision constituait un signal clair que les dirigeants de l’armée étaient contre la révolution », indique ce responsable politique.

Le chef de l’armée, le général Abdel Fattah al-Burhane, et son allié de circonstance d’alors, le général Mohamed Hamdan Dagolo, patron des FSR surnommé « Hemeti », ont sans cesse fait preuve de mépris à l’égard des révolutionnaires réclamant liberté, paix et justice. Le 3 juin 2019, ils démantèlent dans le sang le sit-in du quartier général de l’armée, faisant d’après un syndicat de médecins soudanais pro-révolution au moins 127 morts tandis que de nombreux corps n’ont jamais été retrouvés. Le 25 octobre 2021, ce même duo assoiffé de pouvoir renverse le gouvernement de transition censé conduire aux élections à l’horizon 2024. Les marches pacifiques dénonçant ce coup d’État seront sévèrement réprimées, tuant plus de 120 innocents selon les estimations du même syndicat au moment de l’accord-cadre signé le 6 décembre 2022 entre des civils et des militaires. Ce pacte, censé tourné la page du putsch, a en réalité contribué à faire déraper les relations entre les FAS et les FSR, précipitant le déclenchement de la guerre, analysent pour Tama Média, des observateurs des dynamiques locales.

« Les FSR et les responsables de l’armée qui appartiennent au mouvement islamique partagent un même objectif : ils veulent éliminer la révolution et gouverner le pays dans le sang »

« Les FSR et les responsables de l’armée qui appartiennent au mouvement islamique partagent un même objectif : ils veulent éliminer la révolution et gouverner le pays dans le sang », dénonce l’ingénieur Mutasim Ahmed. Pour ce révolutionnaire, les deux entités sont impliquées dans la disparition de Mohamed Siddiq. Lorsque la guerre a éclaté, l’an dernier, le lieutenant a voulu renfiler son uniforme pour soutenir les troupes régulières - ce qui lui a été refusé. Il a finalement apporté sa contribution en entraînant les jeunes recrues ayant répondu à l’appel à la mobilisation nationale, dont le premier d’ampleur remonte au 27 juin 2023 où le chef des FAS a demandé à « toutes les personnes capables de se défendre » de rejoindre l’armée.

Le lieutenant Mohamed Siddiq

« Il a refusé de se compromettre »

Cet engagement laisse de marbre à beaucoup d’activistes pro-démocratie. « Je ne soutiens aucun des deux camps. Cette guerre est inutile et doit cesser. Je n’approuve donc pas cette dernière décision de Mohamed. En revanche, je me souviendrai toujours de lui comme un grand homme et un héros. Qu’il repose en paix ! », témoigne Moneeb Abdalaziz, également présent lorsque le jeune soldat s’est rangé du côté des manifestants.

« Il a refusé de se compromettre sur les plans de la morale et de l’éthique, ajoute l’analyste Dallia Abdelmoniem. Les dirigeants de l’armée ont démontré, eux, à de nombreuses reprises, qu’ils n’ont aucune considération pour les civils. Ils veulent seulement maintenir le statu quo en conservant leur mainmise sur le pouvoir et en excluant quiconque menace de leur retirer cela. »

Loin de craindre d’être accusé de récupération, le général Abdel Fattah al-Burhane n’a pas hésité à saluer la mémoire d’ « un modèle de rédemption, de sacrifice et de constance pour l’honneur et la dignité » en présentant ses condoléances aux parents du « martyr » dans son village natal. De leur côté, les FSR n’avaient pas encore publié, le 22 mai, de déclaration officielle concernant ce meurtre. Ils n’ont pas répondu non plus aux demandes d’interview de Tama Média.

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