Tribune par Antoine Emane, chroniqueur gabonais : Les opinions exprimées dans les tribunes ne représentent aucunement l’opinion de la rédaction de Tama Média. Première publication le 24 février 2023
Drôle de coïncidence au Gabon. Pour une première fois dans l’histoire politique du pays, le peuple sera appelé aux urnes pour trois scrutins majeurs : l’élection présidentielle, les élections législatives et locales. Les violences post-électorales de 2016 hantent toujours les esprits. Le gouvernement a annoncé la tenue des élections présidentielle, législatives et locales le 26 août 2023.
L’élection présidentielle est le scrutin qui focalise le plus l’attention. Ali Bongo Ondimba, 64 ans, président sortant n’est pas encore officiellement candidat, mais ses dernières déclarations ne laissent aucun doute sur son intention de briguer un 3ème mandat. Donc sauf grande surprise, il sera donc candidat à sa propre succession. Légalement il en a le droit. La constitution révisée en 2017 avait fait sauter le verrou de la limitation des mandats. Reste à savoir qui sera son principal challenger. En 2016, l’ancien président de la Commission de l’Union africaine (UA), Jean Ping s’était attribué le titre de « Général » pour mener le combat dont le but final était de déboulonner les Bongo du fauteuil présidentiel qu’ils monopolisent depuis 1967. Omar Bongo Ondimba, père d’Ali Bongo Ondimba a dirigé le Gabon du 2 décembre 1967 au 8 juin 2009 soit 41 ans au pouvoir. A son décès, son fils lui a succédé à l’issue d’une élection présidentielle anticipée dont les résultats officiels ont été largement contestés.
7 ans plus tard, malgré un large soutien populaire, Jean Ping n’a pas réussi à « chasser » les Bongo du pouvoir en 2016. Comme ses prédécesseurs de l’opposition, il a dénoncé un hold-up électoral qui s’est soldé par un bain de sang. Quatre morts dont un policier, selon un bilan officiel admis par le pouvoir. Des centaines de militants de l’opposition “massacrés” au QG de Jean Ping, selon les propres de l’opposant.
Qui après Jean Ping ?
Confiné dans sa résidence du quartier Charbonnages dans le 1er arrondissement de Libreville du fait d’une interdiction de sortie du territoire, selon ses proches, Jean Ping, 80 ans, semble avoir perdu la bataille. Il est lâché par ses principaux soutiens d’hier qui ont rallié le camp d’en face. Son discours face aux échéances avenir n’est pas encore clair.
La charismatique Paulette Missambo, une expérience politique et une fortune qui lui valent de l’estime
La nature ayant horreur du vide, des têtes émergent à l’exemple de Paulette Missambo, ancienne campagne du très charismatique ancien Premier ministre gabonais, Casimir Oyé Mba décédé durant la pandémie du Covid 19 le 16 septembre 2021 à l’Hôpital Paris Saint-Joseph, Paris, France. D’ethnie Nzebi (l’une des plus importantes du Gabon), Mme Missambo fédère de nombreux hauts cadres de la communauté Fang, une autre ethnie majoritaire du pays auquel appartenait son ex-compagnon Casimir Oyé Mba. Le vote étant souvent ethnique au Gabon, Paulette Missambo, ancienne ministre et figure de proue de plusieurs gouvernements sous Omar Bongo, cumule une expérience politique et une fortune qui lui valent de l’estime. Elle rassemble autour d’elle l’état-major politique qui avait fait d’André Mba Obame l’un des principaux challenger d’Ali Bongo en 2009.
Alexandre Barro Chambrier, un discours radical loin de l’opposition alimentaire
De son côté également, Palette Missambo n’est pas encore candidate Ce qui n’est pas le cas pour Alexandre Barro Chambrier, économiste qui a fait ses armes au Fonds monétaire international (FMI). Issue d’une noble famille gabonaise, ce sexagénaire (64 ans), ancien ministre du pétrole d’Ali Bongo a annoncé sa candidature depuis de longues dates. Il est à la tête d’un parti, le Rassemblement pour la patrie et la modernité (RPM) qui compte 3 députés à l’Assemblée nationale et plusieurs élus locaux. Il tient un discours radical qui l’éloigne de l’opposition alimentaire aussi appelé opposition du pouvoir. Marié à une congolaise de la galaxie Denis Sassou Nguesso, Alexandre Barro Chambrier aurait un trésor de guerre pour faire face au rouleau compresseur du Parti démocratique gabonais (PDG), la formation politique d’Ali Bongo.
Présidentielle gagnée d’avance ?
Quel que soit le candidat en face, Ali Bongo est presque assuré de l’emporter en 2023 s’il consent à briguer un 3ème mandat, comme le supplient ses partisans. Le récent renouvellement du Centre gabonais des élections (CGE), l’institution chargée d’organiser les élections dans le pays est un indicateur sérieux. L’opposition, minée par des querelles intestines n’a pas été capable d’imposer ses choix et sa stratégie. Au lieu de désigner une liste consensuelle de ses représentants au CGE, elle a fourni des listes éparses ce qui a permis au pouvoir de faire la sauce à sa guise. Conclusion, le président élu du CGE est un ancien conseiller d’Ali Bongo puis militant notoire du parti au pouvoir au nom duquel il a brièvement occupé un poste de ministre délégué aux eaux et forêts.
Autre indicateur, l’opposition étale ses mêmes divergences à l’occasion de la concertation politique ouverte le 13 février dernier par Ali Bongo dont l’objectif est de parvenir à des élections libres, crédibles, transparentes et apaisées. La concertation a été réclamée à cor et à cri par l’opposition.
Le dernier rempart
Finalement, l’idée d’une concertation politique pour des lendemains électoraux apaisés fait le bonheur du pouvoir qui fixe les règles du jeu. La fin de cette messe à laquelle ne participent pas les principaux ténors de l’opposition risque de sceller davantage le sort de la démocratie gabonaise taillée au gré de l’appétit du PDG et de la famille Bongo qui s’éternise au pouvoir. Floué par des leaders politiques qui parlent injustement en son nom, le peuple gabonais pourrait s’imposer comme le dernier rempart par sa résignation ou sa révolte contre un régime vieillissant et inefficace face aux défis de l’avenir. Dans ces conditions, la concertation politique n’aurait servi à rien. Les démons des violences post-électorales n’auraient pas été exorcisés. Le risque des troubles ne serait pas totalement écarté. La date de la présidentielle n’est pas encore fixée. Mais si la constitution est vénérée comme il se doit, le scrutin devra obligatoirement se tenir entre juillet et septembre 2023. Affaire à suivre, comme dirait l’autre.