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Grand entretien avec Marie Marre, la grande voix des adoptés français du Mali

26 mars 2023
13 min

Que ce soit aux États-Unis, en Italie, en France, et dans d’autres pays européens, la parole des adoptés s’est énormément libérée ces dernières années. Ces adoptés qui décident de briser le silence ont souvent la même histoire : à l’âge adulte après plusieurs années d’enquête ils découvrent qu’ils ont été en réalité adoptés de manière illégale et que leurs parents donnés pour mort sont encore en vie, ou que contrairement à ce qu’on leur a toujours raconté, leurs parents ne les ont jamais rejeté ou abandonné. 

Deux historiens français Fabio Macedo et Yves Denéchère de l’Université d’Angers se sont, eux, penchés sur les adoptions illégales concernant la France. Les résultats de recherche des deux universitaires ont été publiés en février dernier dans un rapport intitulé « Étude historique sur les pratiques illicites de l’adoption internationale en France ». Un rapport salué par certains défenseurs des droits des adoptés qui se réjouissent d’un début de prise de conscience chez les pouvoirs publics de l’ampleur des adoptions illégales. Médecin de son état, d’origine malienne, Marie Marre est la fondatrice du Collectif des adoptés français du Mali, membre également de la coalition Voices Against Illegal Adoption (VAIA). Suite à la publication du récent rapport documentant les pratiques illicites dans l’adoption internationale en France, nous l’avons sollicité pour avoir son regard sur le sujet. Dans cet entretien, elle nous rappelle les circonstances de la création de son organisation, explique ses quatre grands axes, et au nom des adoptés français du Mali elle exprime également ses attentes vis-à-vis des États français et malien.

Marie Marre : « Ce qui est sûr et certain pour tous les adoptés français du Mali, nous ne souhaitons pas être instrumentalisés au niveau diplomatique entre les deux pays, que ce soit d’un côté ou de l’autre. »

Grand entretien avec Marie Marre, la grande voix des adoptés français du Mali
Marie Marre, fondatrice du Collectif des adoptés français du Mali

Tama Média : Pouvez-vous nous dire comment le Collectif des adoptés français du Mali a vu le jour ?

Marie Marre : Le Collectif s’est créé suite à la publication du Monde et les révélations de TV5 Monde en 2020 sur les adoptions au Mali, où un groupe d’adoptés de neuf personnes avait déposé une plainte contre leurs organismes autorisés pour l’adoption (OAA) et la correspondante locale de l’époque — qui avaient organisé leur adoption du Mali vers la France dans les années 1990.

Suite à cette médiatisation, de nombreux adoptés français du Mali sont venus demander des informations à ces neuf personnes. De fil en aiguille, le groupe s’est agrandi et on s’est rendu compte que beaucoup de personnes étaient concernées par les mêmes problématiques et les mêmes interrogations sur les circonstances de leur adoption. À partir de là, on a voulu se structurer pour porter une parole commune qui ait du poids en France dans le domaine de l’adoption internationale et des droits des personnes adoptées à l’international.

Quelles sont alors les actions menées par le collectif depuis qu’il a vu le jour ?

D’abord, un des objectifs du collectif est la découverte de la culture malienne : Nous avons mis en place des cours de bambara [l’une de 13 langues nationales officielles les plus parlées au Mali] tous les mercredis parce qu’il y a un certain nombre d’adoptés français du Mali qui, soit ont oublié leurs langues en arrivant en France — ils ont appris à parler le français et ne parlent uniquement que le français — soit étaient trop petits pour parler le bambara quand ils sont arrivés en France. Ils souhaitent apprendre le bambara [ou bamanakan, le nom officiel et académique] pour communiquer avec leurs familles biologiques qu’ils ont retrouvées ou parce qu’ils ont envie de se rapprocher de la culture malienne. On a la chance d’avoir un professeur malien, un linguiste en plus, qui nous apprend de manière structurée la langue. Cet apprentissage permet une autre approche de la culture malienne puisque la langue et la culture sont réellement très liées. On propose aussi des sorties culturelles, potentiellement des concerts, des restaurants avec une gastronomie africaine.

Un autre objectif du Collectif est une aide à la recherche des origines. Nous avons des relais à Bamako qui permettent de retrouver des familles de naissance, notamment Djimé Kanté [évoluant dans l’humanitaire parallèlement à ses activités professionnelles] qui a un très grand réseau ayant permis de retrouver plusieurs familles grâce à des avis de recherche sur ses comptes Facebook, réseau sur lequel il est très suivi.

Nous sommes également contactés par des familles au Mali qui recherchent leurs enfants. Elles se rapprochent du Collectif. Si l’enfant, devenu d’ailleurs adulte, nous sollicite, on peut faire une mise en relation. On a accès à beaucoup d’informations et d’archives qui, par recoupements, nous permettent de faire potentiellement des retrouvailles si la personne adoptée ou la famille de naissance nous sollicite. Ça, c’est le volet recherche des origines et culturelles. Le collectif est aussi un lieu de rencontre pour nous.

« On s’est rassemblé en coalition parce que, peu importe les pays de résidence, la nationalité des adoptés, ou leurs pays d’origine, on rencontre tous les mêmes difficultés. »

Il y a aussi le volet du plaidoyer. Il s’agit de tout ce qui concerne les droits des adoptés : le droit à l’identité, le droit à l’accès aux origines personnelles des adoptés, les recours en justice… On le mène au niveau national, en France, mais aussi au niveau international auprès des experts des Nations Unies. Au niveau national, on a mené une campagne de juillet 2022 à octobre 2022 auprès des députés et des sénateurs français ainsi qu’auprès du ministre de la justice, de la ministre des affaires étrangères, de la secrétaire d’État chargée de l’enfance qui est rattachée à la Première ministre [Elisabeth Borne]. Ils ont reçu des lettres ou des emails, certains nous ont répondu. Nous avons eu des rendez-vous dans leurs bureaux à l’Assemblée nationale : on a pu se déplacer à Paris pour rencontrer plusieurs députés français — parfois, c’était par visioconférence, parfois des échanges par e-mails. Suite à cela, des députés ont écrit aux différents ministres pour alerter au sujet des adoptions internationales illégales pour le Mali que nous représentons au sein du collectif. Comme on est solidaires, on a élargi cela à d’autres pays d’origine d’adoptés français. Nous avons ainsi des relations avec d’autres organisations de personnes adoptées par pays d’origine avec qui nous sommes amenés à travailler : Rwanda, Guatemala, Sri Lanka et d’autres pays encore.

Au niveau international, comme je le disais tantôt, il y a un travail auprès des experts des Nations Unies au travers d’une coalition qui s’appelle Voices Against Illegal Adoption (VAIA), Les voix contre les adoptions illégales (traduction littérale). Celle-ci regroupe treize associations dont des associations françaises, belges, suisses, hollandaises, suédoises, congolaises, australiennes, etc. On s’est rassemblé en coalition parce que, peu importe les pays de résidence des adoptés, la nationalité des adoptés, ou leurs pays d’origine, on rencontre tous les mêmes difficultés. C’est-à-dire la recherche des origines et la reconnaissance des adoptions internationales illégales, d’autant plus qu’on a très peu de soutien de nos États. Par exemple, en France, il n’existe pas de structure d’État qui aide les adoptés venus d’ailleurs à rechercher leurs origines contrairement aux adoptés nés en France qui ont un organisme [CNAOP, Conseil national pour l’accès aux origines personnelles, créé en 2002] qui fait maintenant partie d’un GIP [Groupement d’intérêt public]

Il y a également les problèmes des adoptions illégales qui sont souvent découvertes lors de la recherche des origines ainsi que d’autres conséquences à ces adoptions illicites. Par exemple, on a des adoptés qui ont deux identités : une en France et une autre dans leurs pays d’origine. Ce qui peut poser un jour des problèmes administratifs. Il faut vraiment, au niveau international, que des textes soient rédigés avec des effets contraignants pour aider les victimes dans leurs parcours. C’est dans ce contexte qu’il y a eu le 29 septembre dernier une déclaration commune des différents groupes d’experts et de rapporteurs spéciaux des Nations Unies au sujet des adoptions illégales internationales [qualifiées par l’ONU comme pouvant relever sous certaines conditions de crimes graves tels que le crime contre l’humanité ou le génocide], où ils dressent une liste de recommandations pour les États [Obligation de prévenir l’adoption internationale illégale, de criminaliser l’adoption internationale et d’enquêter à ce sujet]. Notre souhait est que cette déclaration commune soit appliquée dans nos pays d’accueil et dans nos pays d’origine.

En plus de cette déclaration commune des experts de l’ONU, une toute première étude historique [148 pages] sur les pratiques illicites dans l’adoption internationale en France, réalisée par le chercheur postdoctorant Fábio Macedo sous la direction d’Yves Denéchère (Professeur d’histoire contemporaine), tous deux du Laboratoire Temps, Mondes, Sociétés (TEMOS UMR CNRS 9016) de l’Université d’Angers, vient d’être rendue publique avec sa publication en ligne sur le site des archives de HAL.

Que pensez-vous de cette étude que le ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères a accepté de financer après la proposition d’un projet de recherche du Professeur Yves Denéchère ? Et quelles sont vos attentes après celle-ci ?

Je pense que cette étude était indispensable et qu’elle est d’une très grande qualité. Car elle permet d’illustrer de manière scientifique, rigoureuse et factuelle ce que les témoignages des parents adoptifs, de personnes adoptées, de certains acteurs de l’adoption ou des diplomates français par le passé ont pu rapporter. L’étude est basée sur des archives diplomatiques, c’est donc factuel : ce sont des arguments d’autorité pour ceux qui avaient encore des doutes sur la présence des pratiques illicites dans l’adoption internationale. Cette étude illustre l’ampleur du phénomène et montre que depuis des décennies, il y a eu des gens qui ont signalé aux autorités françaises qu’il y avait des pratiques illicites. Mais c’est seulement en 2022 que l’État français a décidé d’ouvrir une mission d’inspection sur les adoptions illégales et a demandé également une étude historique sur le phénomène. On peut s’interroger sur le temps qu’il a fallu pour vraiment faire un état des lieux et analyser le phénomène…

Après ce constat historique qui va être complémentaire à la mission d’inspection, il va falloir que l’État français passe à l’action en menant, par exemple, des actions concrètes pour aider les adoptés dans leurs recherches des origines et également pour restituer les responsabilités des uns et des autres dans le phénomène. Et il va falloir, selon l’avis de notre collectif, qu’il y ait un travail législatif c’est-à-dire que des lois soient mises en place à ce sujet. Car la découverte des pratiques illicites a des conséquences très importantes sur les personnes concernées, dont les personnes adoptées en premier lieu, et il va falloir leur apporter des solutions et des réponses concrètes rapidement afin que leurs droits fondamentaux soient respectés.

En plus de ces points que vous venez de souligner, y-a-t-il d’autres attentes de façon concrète ?

En premier lieu, ce serait soit un organisme d’État, soit un organisme indépendant financé par l’État qui accompagne les personnes adoptées à l’étranger dans leurs recherches des origines — avec une prise en charge pluridisciplinaire comme l’accompagnement psychologique, administratif, juridique… Au niveau judiciaire, il faudrait préciser les choses quant aux crimes et délits se rapportant aux adoptions internationales illégales — puisqu’actuellement, en France, il y a un gros problème concernant le délai de prescription des faits pour certains délits ou crimes.

Outre cela, certains adoptés souhaitent que l’État leur permette de retourner au moins une fois par an dans leur pays d’origine. Ceux qui ont les moyens peuvent retourner au Mali pour retrouver leurs familles ou apprendre la culture, mais ceux qui n’ont pas les moyens ne pourront jamais y retourner parce qu’ils ne peuvent pas se payer un billet d’avion aller-retour pour le Mali alors que certains souhaitent retourner voir leurs familles ou entamer les recherches sur place. On constate donc une certaine inégalité dans la recherche des origines à ce niveau. Par ailleurs, le collectif souhaite également qu’il y ait une reconnaissance officielle des adoptions illégales à l’international par l’État français et qu’il y ait des excuses publiques et officielles qui soient adressées aux victimes.

On a beaucoup parlé de l’État français, mais qu’en est-il de celui du Mali, votre pays d’origine ?

Certains adoptés du Mali souhaitent pouvoir avoir une double nationalité : une nationalité malienne tout en gardant leur nationalité française. L’État malien pourrait aider ces personnes dans leurs démarches administratives. Certains souhaitent également que l’État malien puisse soutenir la recherche des origines. La soutenir comme, par exemple, en facilitant les accès aux archives de l’état civil, des pouponnières et à certaines archives diplomatiques. Ou en mettant à disposition un traducteur de langue bambara pour faciliter certaines démarches et recherches. Car, quand certains adoptés retournent dans le pays, la barrière de la langue peut être un obstacle pour la recherche des origines ou pour les premières retrouvailles avec la famille de naissance. Il pourrait avoir ce genre de soutien qui serait fait.

Après tout, l’État [malien] a aussi son rôle à jouer dans ce devoir de vérité et de réparation car, finalement, il y a des responsabilités à tous les niveaux – du Mali à la France. Ce qui est sûr et certain pour tous les adoptés français du Mali, nous ne souhaitons pas être instrumentalisés au niveau diplomatique entre les deux pays, que ce soit d’un côté ou de l’autre. Il est certain qu’une coopération dans ce domaine entre les deux pays serait bénéfique pour les personnes adoptées du Mali.

• Yves Denéchère, Fábio Macedo. Étude historique sur les pratiques illicites dans l’adoption internationale en France. Université d’Angers. 2023. hal-03972497

• La déclaration commune des experts de l’ONU sur les adoptions internationales illégales est disponible en ligne.