Immigration en Tunisie : Ils viennent de la Côte d’Ivoire, du Burkina-Faso, du Cameroun, de la Sierra Leone, du Nigeria, du Soudan ou encore du Yémen. Ils sont arrivés en Tunisie après un périple de plusieurs jours sur les routes du désert malien, nigérien, libyen ou algérien, pour certains. Pour d’autres, ce périple à pris des mois, notamment pour ceux ayant initialement décidé de faire une halte en transitant par la Libye ou l’Algérie.
« Vous pensez que nous voulons rester ici en Tunisie ? ». Depuis début juillet, cette question est sur toutes les lèvres des migrants en situation irrégulière dans le pays du Jasmin dont la senteur n’est plus aussi florale qu’avant, à écouter les témoignage des migrants.
Au départ, beaucoup ne souhaitent pas forcément rester en Tunisie. Une fois dans le pays, ils se retrouvent face à la réalité tunisienne où très peu d’opportunités subsistent vu la situation socio-économique désastreuse que connaît, déjà, le pays. Alors c’est la débrouille ! Les plus chanceux se trouvent des jobs de commis de cuisine ou serveurs, travaillent dans des chantiers de construction, font le ménage chez les particuliers. Ils sont payés des miettes, certes, mais ils font avec ce qu’ils ont, ou du moins avaient, jusqu’à février dernier quand tout a basculé pour eux. Ce jour-là, le discours du président tunisien Kais Saïd déclencha une vague de haine et de violence à l’encontre de la population migrante venue d’Afrique subsaharienne, du jamais vu dans le pays.
Aux yeux du président tunisien, il était primordial de « mettre rapidement fin à la présence en Tunisie de hordes de migrants clandestins », source de « violence, de crimes et d’actes inacceptables ».
Des ONG spécialisées dans les questions migratoires avaient dénoncé ledit discours le qualifiant de « raciste et haineux ».
Entre fin février et fin mars, pas moins de 3025 migrants ont été arrêtés pour « séjour illégal », selon des chiffres fournis par le Forum tunisien pour les droits économiques et sociales.
La situation avant le discours du président Kais Saïed
Avant le discours du président en février dernier, beaucoup de migrants avaient réussi à se construire, un tant soit peu, un semblant de vie en Tunisie. Josephus, qui vient de la Sierra Leone, vit dans le pays depuis quelques années. Sa femme et son enfant l’ont rejoint l’année dernière. Jusqu’à fin février, lui travaillait dans des chantiers de construction et sa femme s’occupait de faire le ménage dans une ferme à quelques encablures de la capitale tunisienne. La petite famille s’était créée un semblant de stabilité.
Aujourd’hui, ils ne savent plus où donner de la tête. « Ils ne veulent pas de nous sur le territoire tunisien, mais ils ne nous laissent pas partir non plus », en référence aux interceptions par les gardes côtes tunisiens des embarcations de fortunes qui prennent la mer en direction des côtes italiennes. C’est la phrase qui revient dans toutes les discussions que nous avons eues avec les migrants subsahariens présents en Tunisie.
Après le discours du président
« C’est terrible ce que nous avons eu à vivre après le discours du président tunisien », partage-t-il, avant d’ajouter que sa femme et son enfant ont été attaqués et se sont retrouvés à la rue à suite aux propos du président. « J’ai dû rentrer à Tunis sur le champ quand j’ai eu vent des agressions. Je n’ai retrouvé ma femme que plusieurs jours après. Elle était à la rue avec notre fils, heureusement sains et saufs ».
Josephus et sa famille, comme beaucoup d’autres migrants, ont tout perdu du jour au lendemain. « Le peu d’argent que nous avions mis de côté, les vêtements, les téléphones, chaussures, ils nous ont tout pris », nous confie notre interlocuteur, qui se retient d’éprouver une quelconque émotion alors que son enfant, en bas âge, est sur ses genoux.
Survivre au jour le jour
Pour tirer la sonnette d’alarme et pousser la communauté internationale à agir, depuis février dernier, Josephus, sa femme, leur petit garçon et plus de 300 autres migrants se sont réunis pour installer un campement devant le siège de l’Organisation internationale pour la migration (OIM), à Tunis. Durant les mois qui ont suivi, Josephus raconte que lui et les autres ont été victimes d’insultes verbales, de discrimination raciale, traités de tous les noms. “Mais nous avons tenu bon. Notre seule alternative consistait à survivre au jour le jour, laissés pour compte, nous n’avions rien à manger, à boire ou de quoi nous vêtir même, heureusement qu’il y a eu la générosité et le courage de quelques bénévoles tunisiens et étrangers qui se sont regroupés en collectif pour récolter des aides et nous les distribuer.” Mais cette mobilisation des bénévoles n’est pas sans risques. Les services de sécurité tunisiens ont restreint et parfois interdit d’apporter une quelconque aide aux migrants abandonnés à leur sort.
Partir à tout prix
Seule alternative pour ceux qui réussissent à réunir une somme allant de 1500 à 2000 dinars tunisien (440 et 590 Euros), prendre le large à leurs risques et périls, à bord d’embarcations de fortune, tels que des bateaux en fer soudés sur la plage quelques heures avant le départ.
En juin dernier, une embarcation transportant une quarantaine de migrants subsahariens a fait naufrage au large de l’île de Lampedusa. Le bateau qui a chaviré à cause des vents forts et de grosses vagues, était parti depuis les côtes de Sfax. Rien qu’en juin, les garde-côtes tunisiens ont intercepté pas moins de 3528 migrants en mer. La ville de Sfax, deuxième ville de Tunisie, est le point de départ principal vers les côtes sud de l’Europe pour les migrants des pays subsahariens.
« Depuis novembre, nous avons remarqué davantage d’arrivées de migrants d’Afrique subsaharienne que de Tunisiens par la route tunisienne », a déclaré à la presse le porte-parole de l’OIM, Falvio Di Giacomo. Selon lui, cette route est plus sûre que la route libyenne car plus courte. Ce phénomène est dû, explique-t-il, aux fortes discriminations que les migrants d’Afrique subsaharienne subissent en Tunisie, qu’ils fuient par conséquent.
Une chasse à l’homme « noir »
Début juillet, des centaines de migrants africains ont été chassés de la ville de Sfax, à la suite d’affrontements ayant coûté la vie à un Tunisien. Le quadragénaire de 41 ans a été poignardé. S’en est suivi un déferlement de haine, de violence à l’encontre des migrants et de leurs familles dans ladite ville, et notamment sur les réseaux sociaux. La police a annoncé avoir arrêté trois Camerounais impliqués dans le meurtre, selon les autorités judiciaires.
À la suite de ce drame, les services de sécurité du pays ont mené une chasse à l’homme « noir », les mettant dans des bus et les conduisant vers des zones inhospitalières aux frontières libyenne ou algérienne. Et peu importe les conditions de ces migrants, qu’ils soient réfugiés, demandeurs d’asile, femmes enceintes, bébés, malades, ils sont conduits à la frontière et sommés de traverser après confiscation de tous leurs documents d’identité.
Un nombre important de migrants a été abandonné à leur sort, selon plusieurs ONG. Il n’y a, cependant, aucune donnée relative au nombre réel de migrants ayant été transportés en dehors des frontières tunisiennes partagées avec la Libye au sud et l’Algérie à l’ouest.
Il y a une dizaine de jours encore, Traoré qui est guinéen, avait un travail plus ou moins stable dans une usine de montage de chauffage et de machines à laver à Sfax. Il pensait encore à son avenir au chaud dans sa maison partagée avec ses colocataires au centre-ville de Sfax. Du jour au lendemain, il est arrêté, embarqué de force dans un bus et conduit par la police vers le nord-ouest, à la frontière algérienne.
« Ils nous ont tout pris, ont déchiré nos passeports et nos cartes consulaires, et nous ont abandonnés à la frontière avec l’Algérie où la police nous a fait comprendre qu’il n’est pas question de revenir en arrière », nous confie-t-il. Aux dernières nouvelles, avec une dizaine d’autres migrants, Traoré se trouve dans la ville de Tébessa, à l’ouest de l’Algérie. Notre interlocuteur nous explique qu’il s’estime chanceux car « Nous n’avons pas été laissés à errer dans le désert libyen, comme d’autres ».
Nous n’avons pas eu de nouvelles de Traoré depuis plusieurs jours. Nous ignorons s’il compte revenir en Tunisie une fois que la situation se sera calmée.
La Tunisie compte plus de 21 000 ressortissants de pays d’Afrique subsaharienne, dont la plupart est en situation irrégulière, selon les statistiques du Forum tunisien pour les droits économiques et sociales (FTDES).