Au Mali, la viande de bœuf est très prisée lors de l’Aïd al-Fitr, fête marquant la fin du ramadan dont l’édition 2023 est célébrée ce vendredi. A Mopti, l’une des grandes villes du pays toujours en proie à l’insécurité et à l’activisme des groupes djihadistes, l’on constate moins d’affluence cette année au grand marché de bovins. Reportage.
La journée de jeudi 20 avril, c’était la dernière foire hebdomadaire du mois de ramadan, à Mopti. Dans cette grande ville située au centre du Mali, à plus de 600 km du district de Bamako, plusieurs marchés étaient bondés de monde. Chacun est venu faire ses derniers achats : denrées alimentaires, vêtements et chaussures, avant l’Aïd al-Fitr, célébré ce vendredi. Dans les rues et ruelles, certains habitants avaient déjà commencé à disséquer leurs bœufs achetés ou élevés pour l’occasion. Cela, avant même l’officialisation de la fête du ramadan 2023 — un peu tard dans la soirée, par la Commission nationale de l’observation de la lune, placée sous tutelle du ministère malien des Affaires religieuses, du Culte et des coutumes.
En cette matinée de jeudi, si l’affluence était au rendez-vous au marché central, tel n’est pas le cas au grand marché de bovins de la ville. Il était encore 10h [GMT] lorsque nous y avons mis pied, sous un soleil ardent. Dans cette grande cour, à ciel ouvert, entre les quatre murs, l’on aperçoit des têtes de bœufs par endroits, des motos à trois roues servant de moyen de transport, des engins à deux roues stationnés ça et là, des vendeurs de cordes pour vache, ainsi que des marchands de bœufs et clients faisant des aller-retours et discutant des prix. Oumar Sangaré, connu sous le nom de Sambourou, est l’un des principaux responsables du grand marché de bœufs. Éleveur résidant à Taïkiri, l’un des plus anciens quartiers de Mopti, il élève des bœufs chez lui pour ensuite les mettre sur le marché.
« Beaucoup de fournisseurs de bœufs ne peuvent pas venir en ville »
Cette absence de grande affluence, constatée cette année, s’explique selon lui par plusieurs facteurs, notamment l’insécurité qui prévaut, depuis plusieurs années, dans la région de Mopti comme ailleurs au Mali. Cette insécurité est liée surtout à l’activisme des groupes armés djihadistes, ainsi que d’autres groupes armés opérant dans la zone. « A cause de la situation sécuritaire, beaucoup de fournisseurs de bœufs ne peuvent pas venir en ville. Ces personnes sont soit attaquées en cours de chemin, soit leurs bétails sont volés lors des pâturages ou sont pris de force. », explique le marchand Oumar Sangaré. Par qui ? Il pointe un doigt accusateur à l’endroit de ces hommes armés qualifiés de djihadistes et de milices — qui opèrent dans la localité. Le marché de bétails de Mopti, rappelle-t-il, est également fourni par les régions situées dans le septentrion du pays, surtout Gao et Tombouctou, deux villes également en proie à l’insécurité depuis 2012 — malgré les efforts de l’État malien et ses nombreux partenaires sous-regionaux et internationaux.
En plus de cette situation sécuritaire, il y a également le coût financier de l’entretien des bœufs. « Ce qui empêche les gens d’élever des taureaux en ville pour ensuite les mettre sur le marché », fait remarquer Oumar Sangaré, portant son turban d’éleveur sur le cou. « Ce qu’on investit dans l’achat d’un bœuf et son entretien, il est très difficile de l’obtenir lors de sa vente car le coût de l’entretien est assez conséquent. », abonde un autre éleveur présent sur les lieux, Maïdouna Yaya. Il est venu vendre deux taureaux, qu’il a élevés chez lui pendant plus d’un mois, à ses dires. Leurs prix, dit-il, varient entre 175 000 francs CFA et 275 000 francs CFA. L’un a été vendu avant notre arrivée et il cherchait un preneur pour le second lors de notre passage. A l’en croire, il est allé les acheter à la veille du mois de ramadan dans la foire hebdomadaire de Fatoma, localité située à une vingtaine de km de la Venise malienne. « C’est ma première expérience », fait-il savoir. Natif de la ville de Mopti, le nouvel éleveur de bovins, Maïdouna Yaya mène comme activité principale la vente de carburant.
« Après le premier jour de la fête, on consomme moins la viande »
Fréquentant ce marché depuis des années, il dit lui aussi qu’il y avait plus de monde par le passé que cette année. « Il faut ajouter aussi que beaucoup de gens ont déjà acheté leurs bœufs à moindre coût, avant le mois de ramadan, pour les élever eux-mêmes », précise Maïdouna. C’est le cas d’un groupe d’enseignants qui a cotisé pour s’octroyer un bœuf avant le ramadan. Car, estiment-ils, les bœufs sont « intouchables » à la veille de cette fête. C’est-à-dire qu’ils ne sont pas cédés à des prix moins chers ou abordables pour une large franche de la population locale.
« Chez nous ici, les plus gros taureaux sont cédés entre 350 000, 400 000 et plus de 500 000 francs CFA. Les moins gros ne sont pas aussi moins chers. », nous informe Oumar Sangaré, responsable du grand marché des bovins de Mopti. Il ajoute que malgré les prix jugés exorbitants par beaucoup de clients, chacun peut faire son achat en fonction de ses moyens. Ce que reconnaît un autre client sur les lieux, venu acheter un bœuf pour son groupe d’amis qui a cotisé pour s’en offrir. Ici comme ailleurs au Mali, il est de tradition que les amis cotisent via un système de “tontines” pour pouvoir acheter un bœuf à l’occasion de l’Aïd.
Dans les autres marchés de la ville, certaines femmes sont venues acheter des poissons et des légumes. « C’est pour varier les mets. Après le premier jour de la fête, on consomme moins la viande dans notre famille », nous confie l’une d’entre elles, qui affirme avoir acheté trois kilos pour la somme totale de 4500 francs CFA. Le kilo de poissons frais est vendu dans les marchés locaux à 1500f CFA, 1750f CFA et 1250f CFA. Quant au kilo de la viande, notamment de bœuf, il est cédé aux clients à 3000 francs CFA. Certains habitants estiment qu’il est « plus bénéfique d’acheter plusieurs kilos de viande au lieu de participer à une cotisation pour acheter un bœuf entier ». Pour passer une bonne fête de l’Aïd, à chacun finalement sa stratégie.