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L’ascension du surdoué Mohamed Mbougar Sarr

Par Redaction
16 août 2022
5 min

L’écrivain sénégalais Mohamed Mbougar Sarr a connu une ascension phénoménale jusqu’à décrocher à 31 ans, le Goncourt, plus prestigieux des prix littéraires français, pour son roman “La plus secrète mémoire des hommes”.

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Il est le plus jeune lauréat depuis Patrick Grainville en 1976, et ce n’est que l’une des hautes marches qu’il a enjambées dans sa vie.

Né en 1990, fils d’un médecin de Diourbel, dans le centre du Sénégal, il se révèle excellent élève et avide lecteur.

Quand on lui demande s’il a ressenti une certaine pression de ses parents pour réussir en tant qu’aîné de six frères, il répond: “Non, pas nécessairement! J’ai envie de, simplement, donner le meilleur exemple qui soit à mes frères”.

Il intègre la filière d’élite des garçons de son pays, le prytanée militaire de Saint-Louis-du-Sénégal.

Beaucoup de métiers lui viennent en tête, médecin, footballeur, militaire, journaliste, avocat, professeur… Et à l’heure des études supérieures, ce surdoué choisit une autre filière d’élite, les classes préparatoires littéraires en France, dans un lycée de Compiègne près de Paris.

Elle l’amènera dans une des plus prestigieuses “grandes écoles” françaises, l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Ses recherches portaient sur la grande voix de la littérature africaine et chantre de la “négritude”, Léopold Sedar Senghor.

“Je n’ai pas terminé ma thèse, parce que j’ai commencé à beaucoup écrire à ce moment-là, et que la fiction l’a emporté”, confie-t-il. Il vit aujourd’hui à Beauvais, au nord de Paris.

Son entrée en littérature s’est faite dès ses 24 ans, avec “Terre ceinte”, publié par une maison dont le catalogue l’avait formé, Présence africaine. Suit “Silence du coeur” en 2017.

– Venir “d’une marge” –

Philippe Rey, éditeur à l’expertise reconnue pour la littérature francophone, l’a convaincu de le rejoindre pour les troisième et quatrième, “De purs hommes” (2018) et “La plus secrète mémoire des hommes” (2021).

Sur ce livre qui explore le destin d’un écrivain sénégalais maudit inspiré du Malien Yambo Ouologuem (1940-2017), prix Renaudot en 1968, Philippe Rey, connu pour son exigence, s’est montré particulièrement attentif. D’après lui, Mohamed Mbougar Sarr, après avoir exploré si finement toute la littérature africaine, tenait le sujet qui allait le faire percer. Il n’y avait qu’à travailler, retravailler encore ce texte.

“J’ai eu beaucoup de chance d’avoir été soutenu, ce n’est pas le cas de tous les écrivains africains. Ni de tous les écrivains tout court! Je suis bien conscient qu’être un écrivain africain publié en France peut être compliqué, comme pour tous ceux qui viennent d’une marge. Mais c’est en train de changer. Que la littérature africaine reste largement à connaître, c’est aussi une chance pour elle”, estimait l’écrivain, interrogé en septembre par l’AFP.

Présenté aux jurys des prix d’automne, le roman a vite convaincu par la qualité  de son style et le mystère de ses personnages.

D’un naturel modeste et d’une élocution très douce, le jeune Sénégalais a été surpris de ce succès. Quand son éditeur lui avait lancé durant l’été le pari de courir un marathon s’il était dans la première sélection de trois prix différents, il avait accepté sans plus y réfléchir.

Philippe Rey en a couru un depuis, Mohamed Mbougar Sarr pas encore. Mais il a une bonne excuse: il a écumé presque tous les festivals littéraires possibles en France ces derniers mois.

Hommage à René Maran

A travers la récompense décernée au Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, l’Académie Goncourt a salué discrètement la mémoire d’un autre lauréat noir, René Maran, qui avait été conspué par la presse il y a tout juste un siècle.

“Il y a 100 ans, en 1921, la presse avait été dégueulasse avec René Maran. Les journalistes avaient même insulté l’Académie Goncourt pour avoir donné le prix à un +nègre+. Aujourd’hui, on donne le Goncourt à un très grand écrivain africain”, a déclaré auprès de l’AFP l’écrivain Tahar Ben Jelloun, membre de l’Académie Goncourt.

“C’est important, parce que la francophonie existe, malgré la politique absolument défaitiste et dégueulasse de l’Etat français, qui ne fait rien pour la langue française et pour la francophonie”, a-t-il poursuivi. 

Né en 1887 sur un bateau reliant la Guyane et la Martinique, René Maran, aujourd’hui écrivain oublié et inconnu du grand public, avait remporté, en 1921, la prestigieuse récompense littéraire avec “Batouala”, un roman dont la préface dénonce la colonisation.

L’annonce de ce prix à un écrivain noir avait alors déchaîné les passions dans la presse, mais aussi dans l’hémicycle, où certains députés l’avaient accusé de remettre en cause la politique coloniale de la France. 

“Le prix Goncourt 1921 au Martiniquais René Maran avait fait scandale. On s’indignait que ce prix puisse couronner un auteur noir”, a rappelé auprès de l’AFP Gisèle Sapiro, professeure de sociologie au CNRS, spécialiste de littérature et des intellectuels.  

“Il faut saluer ce choix du jury Goncourt, qui pour la première fois consacre un des merveilleux écrivains africains de langue française, un tout jeune écrivain qui a déjà une oeuvre splendide”, a-t-elle ajouté, en relevant que “La prise en compte de la diversité” reste quelque chose de “récent”.

La rédaction avec l’AFP