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Mali : l’inquiétante hausse des accidents de la route

15 avril 2023
10 min

A l’instar d’autres pays en Afrique, le Mali fait face à d’énormes défis de la sécurité routière. Les accidents de la circulation routière ne cessent d’accroître d’année en année, avec leurs néfastes conséquences. Reportage – Mali : l’inquiétante hausse des accidents de circulation routière.

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Novembre 2017, sur “la colline du savoir”, à Bamako, Maria [prénom modifié], étudiante à l’époque, venait de subir pour la première fois un accident sur la circulation routière. Ce jour-là, raconte la jeune dame, elle est entrée en collision avec une Mercedes d’occasion de 1990. « Je me suis retrouvée dans le caniveau sur ma droite, la moto quasi irréparable et le véhicule avec des parties brisées. », se souvient encore Maria. Elle en est sortie avec une double fracture. Après l’intervention des secouristes, le chauffeur du véhicule n’a pas souhaité qu’on fasse appel à la police pour effectuer un constat sur le lieu.

« Le conducteur [voiture] m’a accompagnée dans l’ambulance pour l’hôpital Gabriel Touré [situé sur la rive gauche]. Après une longue attente sur la civière, tordant de douleur, j’ai commencé à recevoir les premiers soins, relate-t-elle. Après les premiers soins et le rayon x [examen de radiographie], les traumatologues nous ont proposés une opération au niveau de ma cuisse pour y placer un fixateur interne. » N’ayant pas d’autres options que celle-ci, à ses dires, Maria et ses compagnons se sont résignés à accorder l’autorisation aux médecins. « J’ai eu deux semaines d’immobilité. Le seizième jour, j’ai commencé à marcher avec une béquille. Le choc était si grave que ce fut pour moi un miracle de me voir continuer à vivre. », suffoque-t-elle, ajoutant avoir passé par la suite « presqu’un an sans conduire ».

Des données statistiques

Son second accident s’est produit en 2019, toujours à Bamako, sur la rive droite, au niveau d’un feu tricolore. Elle raconte qu’étant sur sa moto, elle se fait heurter de derrière par un jeune dans un Toyota Avensis. « J’étais surprise et désorientée. J’ai tenté de me redresser, mais je n’y suis pas parvenue. La moto est tombée sur ma cheville, le fer au niveau de la repose-pieds a brisé l’os. », décrit-elle la scène. A la suite d’une prise en charge médicale, dans les mêmes conditions que celle de son premier accident, elle s’était remise après deux mois et quinze jours. Aujourd’hui, elle dit garder toujours les séquelles de ces deux accidents : « La blessure était grave et on pouvait apercevoir les morceaux d’os à l’extérieur, dit-elle du second accident. Ces deux événements malheureux ont laissé des traces sur mon physique. Je boite et j’ai du mal à marcher sur une longue distance. »

La jeune Maria n’est pas un cas isolé. Selon les chiffres officiels qui nous ont été fournis, le nombre d’accidents enregistrés sur la circulation routière en 2019 s’élève à 8 mille 935 cas au Mali, dont 7 mille 797 blessés, 633 tués et 8 mille 460 victimes. Le nombre d’accidents a évolué de 4,19% en 2020, soit 9 mille 309 cas contre 8 mille 935 en 2019. Toujours en 2020, on dénombre 8 mille 231 blessés, 622 décès, 8 mille 853 victimes : soit respectivement une évolution de 5,57%, – 6, 18% et 4,65% par rapport à 2019. Cette hausse est également constatée en 2021 : 10 mille 614 cas d’accidents enregistrés contre 9 mille 309 en 2020. Le nombre de blessés en 2021 s’élève à 9 mille 52 cas, celui de décès à 736, faisant au total 9 mille 821 victimes.

Des facteurs d’accidents

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En comparant les données de 2020 et 2021 en termes d’évolution, on note que les accidents entre automobilistes et piétons viennent en première position, suivis respectivement par ceux entre motocyclistes et motocyclistes, entre automobilistes et motocyclistes, et enfin, entre motocyclistes et piétons. Dans le pays, en 2021, il est enregistré 748 accidents entre automobilistes et piétons contre 463 en 2020, soit une hausse de 61,6%. 3053 accidents entre motocyclistes en 2021 contre 2503 en 2020, soit une augmentation de 22%. Le nombre d’accidents entre autos et motos s’élève à 2712 en 2020 contre 3017 en 2021, soit une évolution de 11,2%. Entre autos et autos, 2507 en 2020 contre 2641 cas en 2021, soit une hausse de 5, 3%. Les cas d’accidents entre motocyclistes et piétons sont au total 1124 en 2020 contre 1155 en 2021, soit une évolution de 2,8%.

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Anaye Guindo, formateur en sécurité routière, dans son bureau au quartier Badalabougou, à Bamako.

Au Mali, ces nombreux accidents sur les voies publiques s’expliquent par plusieurs facteurs, dont « l’excès de vitesse, le non-respect des règles de dépassement, la consommation des stupéfiants [comme l’alcool], les surcharges », fait constater Anaye Guindo, formateur en sécurité routière. Selon ses explications, tous ces facteurs peuvent se résumer en trois éléments en parlant de sécurité routière : « l’humain, l’environnement et le matériel ». Pour lui, la responsabilité de l’individu y est grandement dégagée car c’est celui qui doit respecter les codes de la circulation routière, c’est lui qui construit la route et la dégrade, c’est lui qui fabrique les engins, les achète et les conduit. « Les facteurs liés au matériel concernent l’état des véhicules [et des motos] que nous conduisons. Ils doivent être en bon état pour s’assurer qu’au moment où l’on quitte un endroit à un autre, on puisse arriver sain et sauf. Pour ce faire, il faut quotidiennement vérifier son véhicule ou sa moto [notamment les freins] avant de se mettre dans la circulation », explique le formateur en sécurité routière, Anaye Guindo.

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Tableau tiré de l’étude de la Banque africaine de développement de 2018, intitulée “Etude pour l’amélioration de la sécurité routière dans le district de Bamako”.

La question du port du casque

Ces dernières années, les engins à deux roues et trois roues motorisés sont décrits comme un sérieux problème de sécurité routière, avec notamment leur prolifération estimée aujourd’hui dans les parcs autos à environ 4 millions, à en croire la ministre malienne des Transports et des Infrastructures, Madina Sissoko, lors de son passage en novembre dernier sur le plateau du 20 heures de la télévision nationale. « Ce qui impacte sérieusement la sécurité routière sur nos voies », avait alors indiqué la ministre. Pour cause, la plupart de conducteurs de ces engins, surtout ceux à deux roues motorisés, ne respectent pas les règles de la circulation routière. « Chez nous, les engins à deux roues, on les conduit sans chercher à comprendre c’est quoi une moto, la route et les règles de la circulation routière », fait encore observer Anaye Guindo. Pour réduire les accidents, depuis l’époque d’Amadou Toumani Touré [ATT, ancien président de 2002 à 2012], différents régimes ont tenté de faire appliquer la décision relative au port du casque. Pour rappel, au Mali, le port du casque est réglementé dans de nombreux décrets, qui remontent aux années 1973, 1976, 1982 et 1999. Pour être plus précis, c’est le code de la route en vigueur qui le rend obligatoire dans son article 27. A toutes les tentatives de la mise en œuvre effective de cette mesure, les gouvernements se sont heurtés à la colère de la population, préoccupée par les dures réalités de la vie quotidienne.

La dernière tentative en date : les autorités de transition, à travers le ministère malien des Transports et des Infrastructures, ont annoncé en fin octobre 2022 l’exécution effective du port obligatoire du casque pour tous les conducteurs des engins à deux et trois roues motorisés, à partir du 1er janvier 2023, devant être précédé par des contrôles routiers réguliers sur celui-ci durant le mois de décembre 2022. « Les utilisateurs des motos, composés en majorité de jeunes, sont impliqués dans les accidents de la circulation routière, dans des proportions qui sont passées de 39% en 2009 à 71% en 2021. », justifiait le ministère en charge de la question dans un communiqué, le 13 novembre 2022, rappelant que « le port du casque diminue considérablement le risque des blessures graves à la tête et au cerveau en réduisant la portée du choc sur la tête en cas d’accident ».

Mais c’était sans compter sur l’adhésion d’une large franche de la population, arguant la cherté de la vie en référence aux prix des casques. Ce qui a visiblement contraint les autorités à mettre en attente l’application effective de la décision comme ce fut le cas chez leurs prédécesseurs qui l’ont tentée — le régime du défunt président ATT, en 2012 avec le gouvernement de transition dirigé par l’astrophysicien Cheick Modibo Diarra, et 2014 au début du régime d’Ibrahim Boubacar Kéïta [IBK]. « L’échec des gouvernements à faire appliquer cette décision peut s’expliquer d’abord par un manque d’autorité et ce manque d’autorité se caractérise par la mauvaise attitude des autorités elles-mêmes, notamment les policiers qui sont censés faire respecter les règles de bonne conduite sur la circulation. », observe Abdoulaye Guindo, coordinateur de la plate-forme Benbere, menant depuis cette annonce une campagne digitale de sensibilisation sur le phénomène.

Des propositions d’approche

Membre de l’Association des volontaires de la sécurité routière et la promotion de l’environnement où il est chargé des relations extérieures, Lassana Dioumassi trouve que « le mot ‘‘obligatoire’’ peut être compris sous un autre angle par la population, cela veut dire qu’il y a une contravention lorsque le policier vous arrête pour le non-port du casque ». La protection et la sécurité routière de la population n’étant pas du seul ressort de l’État, défend-il, celle-ci doit s’y impliquer davantage en respectant les dispositions du code de la route.

Pour ce faire, nos interlocuteurs proposent davantage de sensibilisation et de l’insertion de l’éducation à la sécurité routière dans le programme d’enseignement « afin que les générations futures puissent être des citoyens modèles ». Mieux, il ressort dans une étude de la Banque africaine de développement pour l’amélioration de la sécurité routière dans le district de Bamako, publiée en 2018, des recommandations telles que la mise en place d’un système performant de collecte et d’analyse des données sur les accidents corporels avec leur localisation, l’adoption du port du casque pour tous les motocyclistes, la coordination des actions entre les acteurs, l’intégration de modes vulnérables, l’aménagement et le réaménagement de certains carrefours et giratoires, ainsi que la conception d’une politique intégrée de prise en charge des blessés.

Dans une perspective à court et à long termes, il reste encore difficile de freiner les accidents sans la sensibilisation, la formation et le respect des règles de la circulation routière, se dit convaincu le formateur en sécurité routière, Anaye Guindo, qui, comme de nombreux observateurs, pense que « le port du casque est devenu un enjeu politique pour les gouvernements, qui ont peur de perdre leur pouvoir à cause de cela ».

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