Depuis son inauguration définitive le 25 février 2024, la Grande mosquée d’Alger est devenue une nouvelle attraction autant pour les Algériens que pour les visiteurs étrangers de passage. Au-delà de l’institution cultuelle, certains y voient « une revanche sur l’Histoire ». Reportage.
Kamis blanc immaculé, chapeau sur la tête, Mohamed se dirige vers la prière du vendredi 19 mars. Contrairement aux semaines et mois précédents, cet enseignant à la retraite, grand de taille et moustache grise bien taillée, ne prie plus dans la mosquée de son quartier d’El-Harrach, dans la banlieue d’Alger, mais plutôt dans la Grande mosquée. Il se joint ainsi aux milliers d’Algériens qui viennent chaque vendredi pour y accomplir cette prière hebdomadaire chère aux Musulmans.
« la plus grande d’Afrique et troisième plus grande mosquée du monde »
Inaugurée définitivement le 25 février dernier par le président Abdelmadjid Tebboune, la Grande Mosquée d’Alger, « la plus grande d’Afrique et troisième plus grande mosquée du monde », est devenue très vite un centre d’attraction pour les Algériens et les étrangers de passage. Cela est dû, non seulement à son caractère de lieu de culte, mais aussi à ses dimensions imposantes. Son minaret, en forme rectangulaire, atteint les 265 mètres, le plus haut du monde. Dans ses 46 étages, couverts de verre fumé, se trouvent des restaurants, des cafétérias accessibles par de nombreux ascenseurs.
Du haut, on peut avoir une vue imprenable sur la capitale, sa baie et les bateaux en rade et même vers l’arrière-pays, notamment la proche Métidja au Sud. De là, on surplombe également l’ensemble de la mosquée, bâtie sur 20 hectares, et ses dépendances ; un institut des sciences islamiques, un hôtel, une grande bibliothèque et une salle de prières pouvant contenir plus de 35.000 fidèles – et le nombre peut aller jusqu’à 120.000 si on inclut l’esplanade.
On y voit également de nouvelles extensions, puisque l’enceinte religieuse est reliée à la Promenade des Sablettes par deux ponts à haubans qui enjambent la voie express reliant la capitale algérienne à sa banlieue Est. C’est par ces passerelles que les fidèles, qui stationnent leurs véhicules face à la mer, rejoignent, par des processions interminables, la salle de prière qui n’a pas désempli durant tout le mois de Ramadan (édition 2024) où les Algérois y accomplissaient les prières de Tarawihs (prière nocturne effectuée en groupe pendant le mois sacré de Ramadan).
Au-delà de l’institution religieuse
Il n’y a pas que les Algériens qui sont séduits par les lieux. Depuis son ouverture, le lieu du culte reçoit régulièrement des personnalités internationales de passage à Alger. Le plus assidu d’entre ces figures est l’ancien Grand Mufti du Mali le cheikh Mahmoud Dicko. Pendant plusieurs mois, depuis fin 2023, il était en séjour en Algérie pour des raisons sanitaires et sur invitation des autorités, selon ses explications. « Je félicite l’Algérie pour cette réalisation et ce qu’elle fait pour le monde musulman », a salué cet ancien président du Haut conseil islamique (Mali) dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux à l’occasion de la célébration de la fête d’Aid El fitr, le 12 avril dernier.
L’influent imam malien, dont le mouvement a été dissout en mars dernier, avait assisté à l’inauguration du site religieux le 25 février. La Coordination des mouvements, associations et sympathisants (CMAS) de Mahmoud Dicko est devenu aux yeux des autorités de son pays une « menace pour la sécurité publique (…) et son parrain s’adonne clairement à des activités subversives susceptibles de troubler l’ordre public, notamment à travers ses récentes visites à l’extérieur (Algérie) », selon les accusations du pouvoir malien. D’où la dissolution de CMAS en Conseil des ministres, début mars, et sur une requête du 2 janvier 2024 du Collectif pour la défense des militaires (CDM) qui lui reproche notamment de mener des « activités anticonstitutionnelles vis-à-vis de la République ».
Des personnalités politiques, à l’image du Premier ministre palestinien, Mohammed Mustapha, qui a effectué une visite de travail de deux jours à Alger (13 et 14 avril) s’est également rendu à la Grande mosquée d’Alger. Quelques jours plus tard, c’était le vice-ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie chargé du Moyen-Orient, Mikhaïl Bogdanov, qui s’est entretenu avec les responsables de la mosquée. Sergueï Aleïnik, le chef de la diplomatie de la Biélorussie, s’y est rendu lui aussi sans faire de déclaration publique. Auparavant, des ambassadeurs étrangers – et pas seulement ceux des pays musulmans – se sont rendus sur les lieux pour y visiter les différents compartiments de l’édifice religieux parmi lesquels l’Institut de formation religieuse, un musée du Coran…
« C’est une revanche sur l’Histoire »
Pour les Algériens, « Djamaâ El Djazaïr » n’est pas qu’une institution religieuse. « C’est une revanche sur l’Histoire », a commenté Hicham, qui y va désormais tous les vendredis pour faire ses prières. Ce journaliste rappelle que pas loin de ce lieu, avait vécu le Cardinal Lavigerie, ancien Archevêque d’Alger durant la deuxième moitié du 19ème siècle, du temps de la colonisation. Son église était implantée à quelques encablures de l’emplacement de l’actuelle mosquée. Beaucoup d’Algériens ont vu dans l’installation de cet homme de culte la volonté de l’administration coloniale de pousser les Algériens à changer de religion. Cela n’a pas marché, mais beaucoup d’Algériens appellent encore cette zone « Lavigerie » plus de 130 ans après la disparition de l’homme d’église. D’où la satisfaction que tirent des Algériens en apprenant la construction d’une grande mosquée à cet endroit. Dans une publication datée de mars 2019, la chaîne de télévision étatique anglophone de la Chine (CGTN) a indiqué que « le gouvernement algérien a alloué environ 1 milliard d’euros au projet de la Grande Mosquée » sur plus de 10 ans, en citant des responsables de la société chinoise bénéficiaire du projet. D’autres travaux ont été effectués depuis et le coût total n’est pas communiqué au moment de la rédaction de cet article.
Il y a bientôt deux siècles, le 14 juin 1830, la baie de Sidi-Ferruch (environ 30 km à l’ouest d’Alger) a vu débarquer 37.000 soldats français qui allaient durablement modifier l’histoire des édifices religieux, et particulièrement celle des mosquées, dans cette terre d’islam, explique Jeune Afrique dans « Comment les colons ont démantelé les mosquées en Algérie ». Les mosquées étant les lieux les plus spacieux de la ville, l’état-major français décide d’y installer les soldats. Ainsi, les lieux de culte se transforment du jour au lendemain en dortoirs, cantines, dépôts d’armements et de munitions, hôpitaux… D’autres mosquées seront transformées en temples chrétiens. Au regard de cette histoire, l’érection de « Djamaâ El-Djazaïr » reflète sans doute un inconscient historique. Celui par lequel l’Algérie veut affirmer encore et toujours son identité arabo-musulmane face à l’ancienne puissance coloniale et sa politique passée d’aliénation à grande échelle.