Le 24 mars, c’est la date finalement retenue pour enfin permettre aux Sénégalais d’élire le cinquième président de leur Histoire. Après plus d’un mois de flou artistique, avec comme acteurs principaux les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, Macky Sall a pris deux décrets « fixant la date de l’élection présidentielle » et « portant convocation du corps électoral ». Sauf démission du président sortant, avant le terme de son second mandat fixé au 2 avril par la Constitution, rien ne peut changer la donne.
Le Sénégal vient, peut-être, d’éviter un saut dans le vide. L’interruption unilatérale du processus électoral le 3 février 2024, à quelque dix heures du démarrage de la campagne, un moment d’animation politique, a engagé le pays dans une aventure périlleuse. Fort heureusement, entre les 6 et 7 mars, les meubles ont été sauvés.
Mercredi, le gouvernement, réuni en Conseil des ministres, au titre des textes législatifs et règlementaires, a adopté « le projet de décret fixant la date de l’élection présidentielle » et « le projet de décret portant convocation du corps électoral pour l’élection présidentielle du 24 mars 2024 ».
Depuis le report abrupt du scrutin, initialement prévu le 25 février, Macky Sall se refusait à caler une autre échéance malgré la décision du Conseil constitutionnel en date du 15 février qui l’invitait à le faire « dans les meilleurs délais ».
Au lieu d’exercer une prérogative qui lui est dévolue, le chef de l’État sortant a préféré convoqué les 26 et 27 février à Diamniadio, à la périphérie de la capitale Dakar, un dialogue national avec les forces vives de la nation en vue notamment de s’accorder sur la date de l’élection présidentielle.
Une semaine après ces assises, boycottées surtout par 17 des 19 candidats à sa succession retenus par les sept sages, il a reçu au palais de la République les conclusions des deux Commissions mises en place dans le cadre des travaux.
Sur cette base, Macky Sall a saisi le Conseil constitutionnel pour lui soumettre trois interrogations portant sur « la date du 2 juin 2024 proposée pour la tenue du scrutin », « le maintien des 19 candidats déjà validés avec la réserve d’un nouvel examen des candidatures pour régler la question des éventuels cas de double nationalité et les corrections nécessaires pour les parrainages des candidats qui se considèrent lésés » et « l’accord consistant à appliquer l’alinéa 2 de l’article 36 de la Constitution pour assurer la continuité de l’État et la permanence institutionnelle ».
Le Conseil constitutionnel droit dans ses bottes
Globalement, la juridiction présidée par Mamadou Badio Camara est restée dans l’esprit de sa décision rendue le 15 février. À propos de la première question, le Conseil constitutionnel a rappelé que « la date de l’élection du président de la République ne peut être reportée au-delà de la durée du mandat qui arrive à terme le 2 avril 2024 », indiqué qu’ « un décret fixant la date de l’élection au 2 juin 2024, soit deux mois après l’expiration du mandat en cours, ne trouverait de base légale ni dans la loi électorale ni dans la décision (du 15 février) » et affirmé que « le président de la République ne peut, en l’absence d’un texte l’y habilitant expressément, fixer la date de l’élection au-delà de la fin de son mandat » pour au final déclarer que « la date du 2 juin 2024 proposée n’est pas conforme à la Constitution et à la décision n°1/C/2024 du 15 février 2024 ».
Les sept magistrats, en réponse à la deuxième question, ont fait savoir que « l’existence d’un “ consensus ” issu d’un dialogue postérieur à la décision arrêtant la liste définitive des candidats ne fait pas partie des causes de modification de cette liste, limitativement énumérées par les articles 29, alinéa 2, et 34, alinéa premier de la Constitution ». S’agissant des éventuels cas de double nationalité, ils ont précisé qu’ « en l’état actuel de la législation, la possession exclusive de la nationalité sénégalaise est présumée, dès lors que le candidat a produit la déclaration sur l’honneur exigée » et qu’ « en cas d’empêchement, notamment pour cause de double nationalité, découvert postérieurement à la publication de la liste définitive des candidats, l’article 34 de la Constitution prévoit que le Conseil constitutionnel modifie ladite liste ».
Enfin, concernant la troisième question, ils ont soutenu que « l’article 36 de la Constitution régit la situation où le mandat du président en exercice arrive à son terme après l’élection de son successeur ; que l’arrivée à terme du mandat du président en exercice sans que son successeur soit élu, en raison du non-respect du calendrier électoral, n’est pas prévue par la Constitution et ne peut être régie par ce texte ».
Le Conseil constitutionnel, partant de là, a décidé que « la fixation de la date du scrutin au-delà de la durée du mandat du président de la République en exercice est contraire à la Constitution » et que « seuls les 19 candidats retenus par la décision n°4/E/2024 du 20 février 2024 participent au scrutin ».
Pour couper l’herbe sous le pied de Macky Sall, 15 candidats de l’opposition avaient également écrit à la juridiction aux fins de « fixer la date de l’élection présidentielle, d’ordonner aux autorités administratives la poursuite des opérations électorales » et de « définir les règles de suppléance » si jamais le scrutin n’avait pas lieu avant le 2 avril 2024.
Estimant que « la situation actuelle où la date de l’élection présidentielle n’est pas fixée, à moins d’un mois de la fin du mandat présidentiel, n’est justifiée ni en droit ni en fait », qu’ « au regard de l’urgence, le fait pour les autorités compétentes de ne pas fixer la date du scrutin, plus de 20 jours après la décision n°1/C/2024 du 15 février 2024, s’analyse en une méconnaissance de leur obligation constitutionnelle d’exécuter ladite décision », le Conseil constitutionnel a retenu le 31 mars 2024 pour l’accomplissement de l’acte citoyen sacralisé dans les démocraties majeures.
En outre, il a énoncé qu’ « eu égard aux circonstances particulières, si le scrutin du premier tour a lieu avant la fin du mandat, le président en exercice reste en fonction jusqu’à l’installation de son successeur », mais « dans le cas contraire et par analogie aux différentes situations ayant pour effet la vacance de la fonction présidentielle, notamment la démission ou l’empêchement définitif, il convient de dire que le président de l’Assemblée nationale poursuit le processus électoral déjà engagé ».
Ce fut « Un mercredi à rebondissements », a mis à sa Une Le Soleil (quotidien national) là où Sud Quotidien s’est fait l’écho de la fin du jeu « Game over ! » et Bés Bi (Le jour) a titré sur « Les 7 intransigeants » en référence aux membres du Conseil constitutionnel.
Le 24 mars plutôt que le 31
Le Sénégal est un pays de croyants où environ 5 % de la population est de confession chrétienne. Actuellement, la communauté du Christ observe le Carême, une période de jeûne de 40 jours close par la Pâques.
Cette année, la fête de la Résurrection de Jésus coïncide avec le jour déterminé pour la tenue de l’élection présidentielle par le Conseil constitutionnel sénégalais convaincu que « les évènements d’ordre religieux, social et culturel ne sont pas incompatibles avec l’exercice des droits des citoyens, notamment le droit de vote ».
Dans la soirée du 6 mars, des sources médiatiques ont annoncé que les sept sages s’étaient finalement alignés sur la date du 24 mars choisi par Macky Sall. Le lendemain, l’information a été officialisée à travers un communiqué.
« La première émission réservée aux candidats à l’élection présidentielle sera diffusée le dimanche 10 mars 2024 et est produite à partir des seules déclarations des candidats. L’enregistrement de la première déclaration de campagne des candidats est fait obligatoirement dans les studios de la RTS (Radiodiffusion Télévision Sénégalaise, NDLR) le vendredi 8 et le samedi 9 mars suivant l’ordre de tirage retenu par le CNRA en présence des mandataires des candidats et le planning horaire fixé par la RTS et remis aux mandataires des candidats », a détaillé le communiqué y relatif.
« Par décrets n°2024-690 et 2024-691 du 6 mars 2024, notifiés le même jour au Conseil constitutionnel par lettre n°504/PR/SG, le président de la République a fixé la date de l’élection présidentielle au dimanche 24 mars et convoqué le corps électoral à cet effet », a d’emblée informé le document. Poursuivant, il a rappelé que « la fixation de la date de l’élection et la convocation du corps électoral relèvent des prérogatives légales du président de la République ».
Ayant usé de ces attributs par « substitution en vertu de son pouvoir de régulation » afin de « pallier l’inertie de l’administration et de satisfaire à l’exigence constitutionnelle de la reprise du processus électoral interrompu », le Conseil constitutionnel a confirmé que le scrutin se déroulera le 24 mars 2024.
Le président Macky Sall, pour ce faire, a signé le 7 mars le décret fixant la période durant laquelle les candidats iront à la rencontre des électeurs : « En application des décisions du Conseil constitutionnel notamment celle n°5/E/2024 en son article 3 et son considérant 13, la campagne électorale débute le samedi 9 mars 2024 à zéro heure pour se terminer le vendredi 22 mars 2024 à minuit ».
Par la suite, le Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA) a publié le planning du temps d’antenne des 19 candidats sur la télévision nationale. Les passages programmés du 10 au 22 mars en deux tranches, la première à 18h40 et la seconde à 20h40, sont limités à trois minutes par jour pour chaque candidat.