Dans une interview accordée à Tama Média, Ibrahim Harouna, le président de la Maison de la Presse du Niger, estime que le coup d’État constitue un recul pour la démocratie et le développement économique dans le pays. Selon lui, les manifestations populaires en soutien aux putschistes à Niamey « ne reflètent pas forcément l’opinion de la grande majorité de la population à travers le pays », pointant du doigt un système de paiement de certains habitants de Niamey pour participer aux manifestations.
Qui est vraiment le général Tchiani, et depuis combien de temps était-il aux affaires ?
Je ne saurais vraiment donner des détails sur la personnalité du Général Tchiani, mais il faut savoir qu’ il était le commandant de la garde présidentielle depuis pratiquement 12 ans. C’est un officier de l’armée nigérienne et c’est celui qui assurait jusqu’à présent la sécurité de la présidence de la République du Niger.
Le coup d’État vous semble-t-il injustifié ?
Personnellement, je trouve que le coup d’État est injustifié. Parce que notre pays a vraiment pris une trajectoire démocratique avec le président Mahamadou Issoufou qui a quitté le pouvoir au terme de ses deux mandats. Il y a donc eu une alternance démocratique. Ça, c’est sur le plan démocratique. Aujourd’hui, toutes les institutions fonctionnent normalement et le contexte sécuritaire montre que le Niger arrive à surmonter les défis dans ce domaine.
En ce qui concerne le développement du pays, beaucoup d’infrastructures sont en réalisation et beaucoup de projets sont aussi en cours.
On peut dire que le Niger est l’un des pays du Sahel qui s’en sort le mieux sur tous les plans. Et d’autre part, sur le plan politique, il n’y a pas d’agitation politique qui peut vraiment justifier un coup d’État.
Qu’en est- il de la raison sécuritaire invoquée par le Général Tchiani ?
Je le disais, la raison sécuritaire, on pouvait peut-être la comprendre au temps du président Mahamadou Issoufou. C’est à cette période-là qu’il y a eu plusieurs attaques avec beaucoup de morts. Vous vous rappelez, par exemple, des attaques de Boko Haram dans la région de Diffa, où on a perdu beaucoup de compatriotes. Dans la région de Tillabéri, à Chinégodar comme à Inates, on a perdu des centaines de Nigériens. C’est en cela qu’on pouvait dire que la situation sécuritaire était vraiment très difficile. Mais le Niger a su surmonter cette situation.
Aujourd’hui, quand vous prenez toujours l’exemple des pays de la sous-région, l’armée nigérienne est la mieux équipée de toute la sous-région et elle obtient des résultats avec ses partenaires. Au sein de la Cédéao, le Nigeria a la plus puissante armée avec 230.000 soldats. Le Niger se trouve derrière avec 30.000 hommes alors que les autres n’ont que 7000 à 15.000 soldats. Donc, le Niger est la deuxième armée. Cela veut dire qu’on ne peut pas invoquer des raisons sécuritaires pour le coup d’État en cours.
Y a- t-il une adhésion populaire au coup d’État ?
Vous savez, au Niger, c’est devenu une tradition. Dès qu’il y a un renversement d’un régime, il y a de l’engouement. Les populations sortent, elles soutiennent. Mais toujours, par la suite, les gens arrivent à se ressaisir et à comprendre les enjeux et se rendre compte qu’ils ont été roulés dans la farine. Et j’en suis sûr, c’est la même chose qui se passe.
En démocratie, après un mandat, on renouvelle et si les populations sont satisfaites du travail fait par le dirigeant, elles renouvellent le mandat. Et après deux mandats, on vote pour élire un nouveau président – on fait l’alternance. Donc ça permet à la population s’il y a des frustrations qui ont été accumulées, de se débarrasser de l’ancien président et de tourner la page pour aller dans une autre perspective. C’est ça l’avantage de la démocratie. Mais en interrompant le processus démocratique, on ne résout pas les problèmes. C’est devenu une tradition au Niger. Ce n’est pas le premier coup d’État. On en est au septième coup d’État après plusieurs autres tentatives de putsch. C’est une mauvaise tradition. Nous devons laisser les peuples choisir leurs propres dirigeants.
Les manifestations qu’on voit à Niamey reflètent-elles une adhésion populaire au coup d’État ?
Non. J’ai toujours dit que les manifestations à Niamey ne reflètent pas le point de vue de l’ensemble des Nigériens. Nous sommes 25 millions et vous mobilisez 30.000 Nigériens à Niamey et vous dites que c’est l’opinion de tous les Nigériens ? Ça n’a aucun sens. Aujourd’hui, quiconque a des moyens financiers peut mobiliser 30.000 personnes au stade de Niamey. C’est pas un problème. Beaucoup de partis politiques ont réalisé le défi de remplir le stade.
Ce n’est pas une raison pour dire que la population vous soutient. Il y a eu beaucoup de manifestations à l’intérieur du pays. Des gens qui disent qu’ils sont contre le coup d’État. Pourquoi ces manifestations ne sont pas montrées ? La première manifestation à Niamey, ce sont des populations qui disaient qu’il fallait libérer le président Bazoum. C’est après que les pro-putschistes ont commencé à organiser des manifestations. Ils ont mis les moyens pour mobiliser les gens et pour montrer qu’ils ont le soutien populaire.
Y a- t- il aussi des adhésions au coup d’Etat à l’intérieur du pays ?
À l’intérieur du pays, oui. Comme à Niamey, on est en train de mobiliser, on est en train d’essayer de convaincre les gens, de mettre de l’argent pour mobiliser, pour dire qu’il y a une adhésion populaire. Mais cela ne montre pas qu’il y a vraiment une adhésion populaire.
Pour avoir l’opinion de la population, il faut passer par la démocratie. Il faut permettre aux gens d’aller voter, de choisir celui qu’ils veulent. C’est en cela qu’on peut dire que la population a choisi un tel par rapport à un autre. C’est la meilleure façon.
Mais des mobilisations de rue, tout le monde peut les faire. Vous n’êtes pas sans savoir que, par exemple, à Niamey, il y a des spécialistes des manifestations dans certains quartiers. Vous leur donnez un peu d’argent et ils mobilisent leurs troupes. Ils louent des véhicules pour transporter les manifestants vers le lieu de rassemblement. Donc, ce n’est pas étonnant de voir le stade rempli de monde.
On va revenir sur la situation sécuritaire. Quel est l’état de la situation sécuritaire aujourd’hui ?
Il faut être franc et dire que depuis l’arrivée du président Mohamed Bazoum, la situation sécuritaire s’est beaucoup améliorée. Le président a même privilégié les investissements militaires. Je me rappelle très bien une de ses visites en Turquie où il a fait des commandes de matériels militaires. Beaucoup de matériels ont été acquis par l’État sur son budget pour renforcer l’armée. Beaucoup de recrutements ont été réalisés. Et aujourd’hui, l’objectif était d’atteindre au minimum 50.000 hommes. Je crois que cet objectif est déjà atteint. Tous ces efforts ont permis de stabiliser la situation sécuritaire dans notre pays.
Quel est l’impact des sanctions de la Cédéao ?
La situation économique de notre pays est sur une bonne dynamique. Le Niger a réalisé un taux de croissance de 7,2% en 2022, selon les données de la Banque africaine de développement (BAD). On aurait dû avoir un taux de croissance à deux chiffres cette année et l’année prochaine. C’est un taux de croissance bien supérieur à ceux de tous les autres pays de la Cédéao. Ce qui montre qu’il y a une véritable dynamique au niveau de l’économie nationale. Par exemple, il y a le projet en cours du pipeline qui va relier le Niger au port de Cotonou, au Bénin. Tout cela montre qu’il y a une belle perspective économique pour notre pays qui permettra aux jeunes de grandir dans les meilleures conditions.
Les sanctions de la Cédéao sont donc terribles. Après quelques jours d’application, vous ne pouvez même pas récupérer de l’argent dans les banques. Les retraits en espèces sont limités. Même ceux qui sont au pouvoir n’ont pas la possibilité d’accéder aux fonds du Niger. Les sociétés nigériennes qui ont des fonds au niveau de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (Bcéao) ou d’autres institutions financières n’ont pas accès à ces fonds-là.
Les principaux partenaires économiques de notre pays sont le Nigeria et le Bénin. Et les frontières avec ces pays sont désormais fermées. Je suis étonné de voir les gens dire : « Sur l’ensemble des frontières, il n’y a que deux frontières qui sont fermées. Puisque celle avec le Tchad est ouverte. Idem pour les frontières de la Libye, de l’Algérie, du Mali, du Burkina, sont aussi ouvertes ».
Mais peut-on faire du commerce actuellement avec le Burkina et le Mali ? Les frontières sont impraticables parce que les ressortissants de ces pays eux-mêmes ne peuvent pas traverser ces zones-là. Ce sont des zones d’insécurité. Donc, le commerce ne peut pas se faire dans ce contexte. D’autres parlent de la Libye, elle est dans quelle situation ? Peut-on faire du commerce avec la Libye ?
En ce qui concerne l’Algérie, il y a aussi un problème de route pour y aller. Quand vous prenez Agadez, la route est impraticable. Comment allez-vous faire du commerce dans ces conditions ? Donc, les deux principales voies, c’est la frontière avec le Nigeria et le Bénin. Et ces deux frontières sont fermées. Cela veut dire que nous sommes en train d’être étouffés économiquement.
D’autre part, nous dépendons à 70 ou 75 % de l’électricité du Nigeria. Vous ne pouvez pas vous développer sans électricité. Nous sommes incapables de produire de l’énergie pour satisfaire nos besoins locaux. On est vraiment dans une situation économique très difficile. Par conséquent, il est temps de privilégier le dialogue, de s’asseoir pour trouver des solutions afin de sortir le Niger de cette situation. Cela ne sert à rien d’avoir des positions figées et refuser d’écouter les uns et les autres.
Quel regard portez-vous sur une éventuelle intervention militaire de la Cédéao ?
Nous ne souhaitons pas une intervention militaire de la Cédéao. Nous sommes tous une communauté de destin. Nous appartenons à une seule communauté. Les populations, de par les frontières, sont les mêmes. Intervenir au Niger face à une armée régulière va être très difficile. Le dialogue doit prévaloir. À travers les discussions, on peut trouver des solutions. On n’a pas besoin de recourir aux armes, à la violence. On peut s’asseoir et se demander : quelles sont les raisons qui ont conduit au coup d’État et trouver une solution pour restaurer l’ordre constitutionnel. C’est la meilleure voie.
Quelle que soit la suite des événements, nous devrons revenir à la démocratie, en allant aux urnes. On aura toujours la même classe politique lors des scrutins. Ce sont les mêmes personnes qui seront élues. Et qu’est-ce qui aura changé ? On aura seulement amené le pays à prendre du retard dans son développement. Donc il faut trouver une solution aux causes qui ont conduit au coup d’État pour savoir si ce sont vraiment des raisons objectives ou personnelles. Si ce sont des raisons personnelles, les militaires responsables de ce coup d’État doivent tirer les conséquences de cet acte. Ils doivent comprendre qu’ils sont en train de mettre un pays de 25 millions d’habitants dans une situation très difficile, qu’ils sont en train de compromettre l’avenir de milliers de jeunes nigériens.
Ils doivent se dire : « À un pas de la retraite, je ne peux pas être la cause du recul de tout un pays de 25 millions d’habitants ». Je pense que les gens doivent savoir que le coup d’État n’est pas une solution pour régler les problèmes. Laissez les populations choisir leurs représentants, c’est la meilleure voie.