Au cours de la 78e Assemblée Générale des Nations Unies, tenue en septembre 2023 à New York (États-Unis), des chefs d’État africains ont plaidé pour la réforme du Conseil de sécurité dans lequel le continent noir ne compte aucun membre permanent. Le président kenyan, William Ruto, a déclaré que cet organe exécutif est « dysfonctionnel, antidémocratique, non inclusif, non représentatif et donc incapable de réaliser des progrès significatifs ». Pour comprendre les enjeux autour de la question, Tama Média s’est entretenu avec Pascal Niyonizigiye, docteur en sciences politiques et professeur de relations internationales à l’Université du Burundi.
Par Jean-Marie Ntahimpera avec la contribution de Youga Ciss et Sagaïdou Bilal
En 2022, alors président en exercice de l’Union Africaine (UA), l’ex-chef d’État sénégalais Macky Sall avait estimé qu’« il est temps de faire droit à la juste et légitime revendication africaine sur la réforme du Conseil de sécurité, telle que reflétée dans le consensus d’Ezulwini ». Son successeur à la présidence tournante de l’organisation panafricaine et président de l’Union des Comores, Azali Assoumani, a aussi réaffirmé la position de l’UA en se fondant toujours sur le même texte adopté en mars 2005 à l’occasion de la 7e Session extraordinaire du Conseil exécutif de l’Union Africaine.
Quel regard portez-vous sur le Conseil de sécurité des Nations Unies tel qu’il fonctionne actuellement ?
Les présidents africains demandent la réforme du Conseil de sécurité. J’estime que c’est une réclamation pertinente qui se défend. La structure des Nations Unies, telle que nous la connaissons, existe depuis 1945. Pourtant, le monde n’est plus le même. Il a beaucoup changé. Cela nécessite obligatoirement des changements dans la manière de le gouverner.
Dans les années 1990, au lendemain de la guerre froide, avec l’Agenda de la paix de l’ancien Secrétaire Général Boutros Boutros-Ghali, il était question de réformer le système des Nations Unies pour l’adapter au temps présent (la composition du Conseil de sécurité a été une première fois élargie en 1963-65, passant de 11 à 15 membres. Explications à lire en encadré à la fin de l’interview, NDLR).
De façon générale, tous les États membres, surtout ceux permanents au sein du Conseil de sécurité, étaient d’accord. Mais il est jusque-là très difficile de mettre en œuvre cette réforme.
Que veulent exactement les Africains ? Ont-ils les moyens de parvenir à leurs fins ?
Il faut que les Africains soient représentés au Conseil de sécurité des Nations Unies. L’Afrique, c’est plus de cinquante États. Elle compte plus d’un milliard de personnes. Il faut, par conséquent, que ce continent soit traité à sa juste valeur.
Pendant la seconde guerre mondiale, la puissance militaire déterminait le rang dans le concert des nations. Ce n’est pas tellement le cas de nos jours. Ce qui fait l’agenda social mondial, ce sont les problèmes que l’on trouve dans les régions les moins développées de la planète.
Dès lors, il faut écouter même les pays qui ne sont pas nantis ou qui n’ont pas la puissance militaire des cinq membres permanents du Conseil de sécurité. Ce sont les peuples concernés par ces problèmes qui peuvent émettre des idées, formuler des propositions pour améliorer le système des Nations Unies.
Il ne s’agit pas d’imposer, mais de convaincre. On doit montrer que pour plus d’équité, d’efficacité, toutes les régions du monde doivent être représentées au Conseil de sécurité des Nations Unies.
Que peut faire notre continent au Conseil de sécurité des Nations Unies si l’on sait que l’Union Africaine (UA) n’est même pas autonome en matière de financement ?
Si l’Union Africaine (UA) ne marche pas comme il faut, c’est parce que, jusqu’à présent, nous n’avons pas réussi à prendre en main la gestion financière de cette organisation. Elle est financée à plus de 70 % par des puissances étrangères. Ce n’est pas normal.
La main qui donne, c’est elle qui dirige. Le jour où les Africains trouveront le moyen de financer leur propre organisation, ils la prendront au sérieux.
Ce n’est pas pour rien que l’ancienne Première ministre britannique, Margaret Thatcher, s’exprimant à Dublin (Irlande) le 30 novembre 1979 au Sommet des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté Économique Européenne (CEE) disait : « I want my money back ». Traduisez, « Je veux que l’on me rembourse mon argent ».
Si on finance, si on investit, on veut tirer des dividendes. Il faut que les Africains adoptent des mécanismes dans le but d’assurer le financement de leurs propres organisations. C’est bel et bien possible. Il y a beaucoup d’argent sur le continent. Il suffit simplement que ces ressources soient bien gérées.
En Afrique, les coups d’État sont toujours d’actualité. Que doit alors faire l’Union Africaine face à ces échecs de la démocratie sur le continent ?
La démocratie n’est pas uniforme. La démocratie américaine n’est pas la démocratie française. Cette dernière est différente de la démocratie allemande. Le drame en Afrique, c’est que nous avons toujours voulu calquer notre démocratie sur le modèle occidental des anciennes puissances coloniales.
Chaque pays africain, en fonction de ses réalités socioculturelles, peut réfléchir sur un modèle de démocratie conforme à ses aspirations. Le mimétisme institutionnel ne mène nulle part. Le copier-coller ne marchera pas parce qu’on n’a pas la même culture.
C’est pourquoi, à un certain moment, on s’est dit que la démocratie n’est pas une réussite en Afrique. Il nous faut la tropicaliser. La démocratie à l’africaine, ça peut marcher. Nos royaumes, avant la colonisation, ont connu des systèmes démocratiques. Les Africains savaient gérer la diversité des tribus, des ethnies, etc. On doit revisiter notre Histoire riche en enseignements.
Les Africains ne sont pas de grands enfants. Ce sont des gens responsables qui doivent s’asseoir et réfléchir. Notre problème fondamental est qu’on s’est mis en tête qu’il faut reproduire ce qui se fait ailleurs dans le monde. Ces peuples-là ont créé des normes démocratiques conformes à leurs cultures. Pas aux miennes.
Il y a, en Afrique, des coups d’État parce qu’il y a un problème de gouvernance. Les peuples ne sont pas suffisamment écoutés. Souvent nos dirigeants agissent pour leurs intérêts. Le gaz comprimé finit par faire éclater la bouteille. Un grand effort doit être fait pour l’amélioration de la gouvernance. L’Union Africaine doit pousser ses membres vers ce type de réformes.
En République Démocratique du Congo, au Mali ou en Somalie, les Nations Unies et l’Union Africaine n’ont pas rencontré un franc succès dans le maintien de la paix. Quelles sont les limites de ces missions et comment y remédier ?
Qui finance ces missions ? C’est l’Union Européenne (UE), ce sont les États-Unis. Cette donne est importante dans l’analyse. Il faut que les Africains prennent leurs responsabilités. On ne doit pas se leurrer.
Tant que ces structures sont financées par les puissances étrangères, elles ne vont jamais servir exclusivement les peuples africains. À la limite, elles vont tout faire pour entretenir des conflits qui profiteront à ceux qui mettent la main à la poche.
Les Africains doivent prendre le taureau par les cornes et réfléchir à leur avenir. Il ne faut jamais se dire que tout doit être résolu par des experts étrangers. Nous devons sortir de l’assistanat.
Le grand problème, c’est que les Africains, même ceux ayant fait des études poussées, même ceux ayant suffisamment voyagé, ont tendance à singer. Il n’est pas interdit de s’inspirer de quelqu’un ou de quelque chose. Mais regardez les Japonais et les Chinois, ils adaptent tout à leurs cultures. Nous devons donc revoir nos relations avec le reste du monde.
Note de la rédaction
Le consensus d’Ezulwini exprime la position de l’Union Africaine sur la réforme des Nations Unies, notamment celle du Conseil de sécurité, l’organe en charge de la paix et de la sécurité dans le monde. Celle-ci est sans doute « l’un des sujets qui est resté depuis le plus longtemps à l’ordre du jour de l’Assemblée Générale, mais par intermittence. Afin de refléter l’augmentation des membres de l’organisation dans les années 1950-1960, la composition du Conseil de sécurité a été une première fois élargie, passant de 11 à 15 membres en 1963-1965 ».
Dans les décennies 1980-90, « cette question est réapparue pour ne plus cesser, depuis, d’être débattue ». C’est ainsi qu’en 1994, l’Assemblée Générale a mis en place un « Groupe de travail à composition non limitée, chargé d’examiner la question de la représentation équitable au Conseil de sécurité et de l’augmentation du nombre de ses membres ainsi que d’autres questions ayant trait au Conseil de sécurité ». Cela dans la perspective « de trouver la formule magique qui permettrait un consensus des 192 États membres sur cette question ».
Dans « L’élargissement du Conseil de sécurité : enjeux et perspectives », paru en 2006 dans la revue Relations internationales (n°128), Alexandra Novosseloff a relevé qu’ « au bout de quelques années, les travaux de ce groupe ont commencé à piétiner. Un ‘’ second souffle’’ est venu en 2004-2005, à l’occasion du nouveau processus de réforme engagé par le Secrétaire Général en septembre 2003, suite à la crise iraquienne et les recommandations du Groupe des personnalités éminentes (décembre 2004). Cette nouvelle tentative pour relancer le débat n’a pu aboutir au Sommet mondial et la question de l’élargissement du Conseil de sécurité est depuis retombée dans les méandres de la diplomatie onusienne […] » avant de refaire surface notamment dans les dernières sessions de l’Assemblée Générale des Nations Unies.
En 2005, lors de la 7e Session extraordinaire de son Conseil exécutif, l’Union Africaine, après avoir « examiné en profondeur le rapport du groupe de haut niveau sur les menaces, les défis et le changement, a adopté une position commune connue comme ‘’ le Consensus Ezulwini ’’ ».
Celui-ci contient les éléments suivants : « sécurité collective et défis de la prévention », « sécurité collective et usage de la force » et « réforme institutionnelle » des Nations Unies. Le dernier point aborde la question de la réforme du Conseil de sécurité. « Rappelant qu’en 1945, lorsque l’Organisation des nations unies a été créée, la plupart des États africains n’étaient pas représentés et qu’en 1963 lorsque la première réforme a eu lieu, l’Afrique était représentée mais n’était pas dans une position particulièrement forte ; convaincu(e) qu’actuellement, l’Afrique est en mesure d’influencer les réformes actuelles des Nations Unies proposées en maintenant son unité de vues […] », l’Afrique a affiché ainsi sa volonté « d’être pleinement représentée dans tous les organes de prise de décisions des Nations Unies particulièrement au Conseil de sécurité qui est le principal organe de prise de décision des Nations Unies pour les questions liées à la paix et à la sécurité internationales » avec « au moins deux sièges permanents (au Conseil de sécurité) avec tous les privilèges et prérogatives des membres permanents y compris le droit de veto, et cinq sièges non permanents ». Téléchargez le Consensus d’Ezulwini ici (lien archivé).