Le contexte : Les 27 et 28 juillet, la Russie accueille à Saint-Pétersbourg la 2éme édition du sommet Russie-Afrique après celui de Sotchi en 2019. C’est l’occasion pour le président russe Vladimir Poutine de montrer l’étendue de son influence diplomatique sur le continent africain. Pour le politologue et journaliste béninois Francis Laloupo, outre les questions économiques ou culturelles, ce sommet revêt principalement des enjeux politiques à la fois pour le locataire du Kremlin, fragilisé par la rébellion du groupe Wagner mais aussi pour les chefs d’États et de gouvernements africains qui doivent mettre en place les conditions d’un partenariat gagnant-gagnant avec la Russie et clarifier la présence des mercenaires de Wagner sur le continent africain.
Biographie express de l’invité : Francis Laloupo est journaliste, essayiste et enseignant-chercheur associé à l’IRIS (l’Institut de relations internationales et stratégiques). Il est auteur de plusieurs ouvrages dont “Blues démocratique – 1990-2020” (Éditions Karthala)
1-Tama Média : Ce sommet Russie-Afrique est-il plus important pour la Russie ou pour les États africains ?
Francis Laloupo : Depuis quelques années, la Russie fait son retour à la fois sur la scène internationale mais aussi en Afrique, l’Afrique étant devenue aujourd’hui une terre privilégiée dans les coopérations que la Russie engage avec des partenaires extérieurs. Ce sommet se situe dans le cadre de cette nouvelle coopération marquée essentiellement par des accords sécuritaires. La Russie a signé ces dernières années nombre d’accords de défense et de sécurité avec plusieurs pays africains.
Des pays sont emblématiques en la matière : il s’agit notamment de la Centrafrique, du Mali, du Soudan et de la Libye. Aujourd’hui, cette coopération sécuritaire est aussi questionnée par la présence de Wagner dans ces pays. C’est Wagner, qui, jusqu’à présent, a incarné cette coopération avec la Russie.
C’est peut-être l’occasion, au cours de ce sommet, de questionner de manière beaucoup plus pragmatique et beaucoup plus lucide cette coopération.
Quels en sont, réellement, les tenants et aboutissants ? Quelle en est la finalité ? Jusqu’à présent, ce que nous observons, c’est qu’au-delà de certains éléments saillants tels que la présence de Wagner par exemple ou l’exploitation des mines, notamment des mines d’or, cette coopération reste confuse.
Il est peut-être temps aujourd’hui, que les dirigeants africains et les acteurs impliqués dans cette coopération russo-africaine puissent la questionner de façon pragmatique. Et qu’ils puissent éviter, ce que j’appellerai, “le piège de l’allégeance”.
“Il ne s’agit pas de considérer la Russie comme un nouveau parrain des nations africaines mais comme un partenaire à part entière, dans un partenariat et une exigence réciproque”, Francis Laloupo.
Que gagne l’Afrique dans cette coopération ? Qu’apporte la Russie et qu’apporte également l’Afrique ? En résumé, quels sont les termes de cette coopération ?
Ces termes nous échappent pour l’instant. Les populations ne savent pas quelle est la nature du contrat qui lie, par exemple, le gouvernement de transition du Mali ou le gouvernement de Bangui à Wagner. Alors, on parle évidemment d’un contrat portant sur la sécurisation des autorités, portant sur la lutte contre les rébellions en Centrafrique, contre les groupes terroristes et djihadistes au Mali.
Cependant ils ont commis des exactions car, manifestement, ils ne maîtrisent pas le terrain, ou le contexte dans lequel ils sont appelés à intervenir. Ils confondent souvent des éléments supposés djihadistes avec des populations locales. On a pu observer quelques massacres (au Mali et en Centrafrique) et il y a des rapports parfaitement documentés par des organisations internationales qui ont pu révéler ces éléments et c’est assez effrayant.
2-Quelle est la place de Wagner dans le partenariat Russie-Afrique ? Et quelles sont les conséquences de la rébellion d’Evgueni Prigojine, le patron de Wagner, contre Vladimir Poutine ?
Vous avez cette anomalie diplomatique qui consiste à ce que la Russie, ayant signé des accords de coopération sécuritaire avec ces pays-là, ne soit pas en mesure d’envoyer des éléments de son armée régulière, mais préfère envoyer des mercenaires pour sous-traiter en quelque sorte la sécurité. Résultat : on se retrouve aujourd’hui dans une difficulté absolument inextricable.
Une difficulté pour l’instant non surmontée en tout cas par les États africains concernés. Depuis les évènements du 24 juin, depuis la rébellion de Prigojine, on se trouve dans un double mouvement.
La Russie souhaite nationaliser cette entité en incorporant les éléments de Wagner volontaires dans l’armée régulière, ce qui signifie simplement la dissolution et la fin de Wagner telle qu’on l’a connu jusqu’à présent. Mais en même temps, on demande aux pays africains de continuer à héberger les éléments de Wagner qui sont aujourd’hui présents sur leur sol.
Comment expliquer raisonnablement que l’on puisse demander aux pays africains d’héberger une telle monstruosité dont la Russie elle-même veut se débarrasser ? Je ne pense pas que cela atteste d’un regard respectueux de la Russie à l’égard de ses partenaires africains. Mais, il revient aux pays africains qui hébergent Wagner de pouvoir eux-mêmes se déterminer. Il faut qu’ils en profitent pour retrouver, je dirais, une certaine clarté dans la relation qu’ils entretiennent avec la Russie. Cette clarté-là, ils la doivent aux populations, à leurs électeurs et à leurs concitoyens.
3-Que peut-on attendre concrètement de ce sommet Russie-Afrique ? Est-ce que certains pays comptent sur le sommet pour obtenir quelque chose de la Russie plus que d’autres ?
Il y a forcément dans la cinquantaine de pays invités à ce sommet, des pays qui n’ont pas besoin de ce sommet de manière concrète. C’est-à-dire qui n’ont aucun avantage induit par ce sommet. Ils sont là pour la photo. C’est aussi l’occasion de rencontres et, parfois d’en profiter pour prendre des raccourcis dans les négociations internationales. En cela, ce sont finalement des grand-messes, de grandes réunions.
Mais, en réalité, l’intérêt de ces sommets est souvent très limité. Ceux qui en attendent beaucoup pourraient être déçus. Ce genre de sommet ne fournit pas forcément de réponses.
Les pays africains doivent plutôt travailler à déterminer leurs propres intérêts en tout temps, en tous lieux avec tous leurs partenaires quels qu’ils soient. C’est ce que nous attendons des décideurs et des pays africains depuis 30 ans.
Ils doivent parler des partenariats à leur population, en toute clarté et indiquer comment ils défendent leurs intérêts face à ces partenaires. Les discours ne sont plus suffisants.
Ce qui compte, c’est ce qu’apporte tel ou tel partenariat au bien-être des populations, notamment aux plus jeunes. C’est la seule chose qui vaille. Tout le reste, ce sont des discours ou des incantations.