N’Djamena est en colère contre Yaoundé après qu’il a appris la signature d’un accord d’achat par Savannah Energy de 10% des parts de la Société nationale des Hydrocarbures du Cameroun (SNH). Dans la foulée, le Tchad a rappelé son ambassadeur en poste à Yaoundé pour consultation. Nous vous expliquons les dessous de cette affaire.
La genèse de l’affaire Savannah Energy
Tout est parti de la décision du gouvernement tchadien de nationaliser les actifs et droits de toute nature d’Esso Chad. Cette société pétrolière qui exploite les champs pétroliers de Doba, au sud du Tchad, décide de quitter le pays et vend ses parts (40%) à Savannah Energy, une firme britannique. Pas convaincu du poids que cette société a dans le monde du pétrole, le Tchad s’est opposé et a décidé de nationaliser les actifs d’Esso Chad. Problème, Yaoundé qui fait partie du consortium, ne reconnaît pas cette mesure et continue à faire affaire avec Savannah Energy. Il faut dire que le pipeline Tchad-Cameroun est la propriété de trois entités : le Cameroun, le Tchad et la société Exxon Mobil devenu Esso Chad.
La goutte d’eau qui a fait déborder le vase est la signature d’un accord prévoyant la cession par une filiale de Savannah Energy de 10% du capital social de Cameroon Oil Transportation Company (COTCO) à la SNH (Société nationale des hydrocarbures – du Cameroun ) pour un montant de 44.9 millions de dollars
La colère de N’Djamena
La colère de N’Djamena ne s’est pas faite attendre. Sur les ondes de la télévision nationale, le ministre secrétaire général de la Présidence, Gali Ngothé Gatta a annoncé le rappel de l’ambassadeur tchadien au Cameroun pour consultation. Une décision sans précédente dans l’histoire entre les deux pays voisins. Les autorités tchadiennes reprochent à Yaoundé plusieurs griefs. D’abord, des « agissements inamicaux et contraires aux intérêts du Tchad par ses représentants dans les conseils d’administration de COTCO et TOTCO. » Ensuite, N’Djamena s’indigne de la lourdeur administrative de son voisin qui tarde à répondre aux lettres de demande d’avis de non-objection adressée par la CEMAC ( Communauté des États de l’Afrique centrale) dans le cadre de l’acquisition des parts de Petronas par le Tchad. Enfin, les autorités tchadiennes ne comprennent pas pourquoi le Cameroun ne les soutient pas dans le bras de fer qui l’oppose à Savannah Energy.
Jusqu’où ira cette tension diplomatique et économique ?
Depuis le début de cette crise, Yaoundé joue à l’apaisement, fait savoir Nako Mamadjibeye, politologue tchadienne. D’après elle, la visite du ministre Secrétaire général de la Présidence camerounaise, Ferdinand Ngoh Ngoh le 26 avril à N’Djamena s’inscrit dans ce cadre. « Le fait que le Cameroun n’ait pas répliqué en laissant son ambassadeur en poste à N’Djamena, le fait que Biya dépêche Ngoh Ngoh avec un message au Président tchadien sont là les signes d’apaisement », avance-t-elle.
Alors qu’on croyait à une escalade entre les deux pays, Ferdinand Ngoh Ngoh a rassuré, à sa sortie d’audience avec le président tchadien, que les relations séculaires demeurent toujours excellentes. « Certaines incompréhensions ont été dissipées et il n’y a vraiment aucun nuage dans la relation entre le Cameroun et le Tchad », dit-il.
Le Tchad, pays sans façade maritime, dépend en grande partie de son voisin, le Cameroun. Les ports de Douala et de Kribi sont les portes d’entrée des marchandises au Tchad. C’est aussi par Kribi que le pétrole brut tchadien coule pour prendre le chemin des marchés internationaux. Selon la politologue Nako Mamadjibeye, les deux pays ont beaucoup à gagner en restant en bonne relation. « Si on arrive à la rupture des relations diplomatiques, le Tchad sera asphyxié économiquement, tout comme le Cameroun perdra gros en matière de recette pétrolière », fait-elle observer.
“Les Etats n’ont pas d’amis mais que des intérêts”, dit-on souvent en langage diplomatique. Dans cette affaire de Savannah Energy, le Tchad joue sa souveraineté et sa sécurité énergétique. Le Cameroun, de même, défend bec et ongles ses intérêts. « On ne peut pas en vouloir à quelqu’un s’il défend ses intérêts au détriment de l’amitié qui le lie avec un autre. Je pense que les deux Etats vont rectifier le tir, chacun de son côté, pour stabiliser la relation », conclut Nako Mamadjibeye.