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Terrorisme en Afrique : près de 50 % de morts de plus en un an

Par Redaction
07 mars 2023
10 min

La violence islamiste en Afrique a établi de nouveaux records en termes d’événements violents et de décès au cours de l’année 2022. Cette évolution s’inscrit dans une tendance à la hausse ininterrompue qui dure depuis dix ans. Pour donner une idée du rythme accéléré de cette menace, les événements violents et les décès ont presque doublé depuis 2019.

Terrorisme en Afrique : près de 50 % de morts de plus en un an
Des militaires burkinabés tienant des portraits lors de l’enterrement des soldats tués lors d’une attaque d’Al-Qaeda à Gaskinde en octobre 2022. Olympia de Maismont/AFP

Par Joseph Siegle, University of Maryland et Wendy Williams, de Africa Center for Strategic Studies. Cet article a d’abord été publié sur The Conversation.

Dans une récente analyse du Centre d’études stratégiques de l’Afrique (CESA), nous avons constaté qu’il y avait eu 6 859 cas de violence impliquant des groupes islamistes militants en Afrique en 2022. Il s’agit d’une augmentation de 22 % par rapport à 2021. Les décès liés à ces événements ont augmenté de 48 % pour atteindre 19 109 morts. Cela reflète une forte augmentation du nombre de décès par événement.

En particulier, le regain de violence a été marqué par une augmentation de 68 % des décès impliquant des civils. Ce chiffre est significatif : ces groupes militants ne cherchent pas tant à gagner les cœurs et les esprits qu’à intimider les populations locales pour qu’elles se conforment à leurs engagements.

Cette analyse s’appuie sur des données compilées par le Armed Conflict Location and Event Data Project (ACLED) – une organisation à but non lucratif de collecte de données et de cartographie des crises. Ce projet rassemble des événements violents provenant de sources d’information locales et internationales, ainsi que de rapports des Nations unies, de gouvernements et d’ONG. Le CESA corrobore ensuite les données à l’aide de sources indépendantes. Il s’agit notamment du groupe de surveillance des djihadistes SITE Intelligence, de l’International Crisis Group et du Projet de cartographie des militants de l’université de Stanford.

Ayant suivi les tendances des groupes islamistes militants en Afrique pendant de nombreuses années, nous sommes préoccupés par ce pic. Une réponse plus globale et contextualisée est nécessaire. Elle doit intégrer les efforts des communautés locales et ceux des acteurs nationaux, régionaux et internationaux.

La violence se concentre au Sahel et en Somalie

La menace islamiste n’est pas monolithique mais se compose de plus d’une douzaine de groupes militants différents. Chacun d’entre eux a des dirigeants, des objectifs, une structure organisationnelle, un financement et un approvisionnement en armes distincts. Ils sont motivés par toute une série de facteurs. Ceux-ci comprennent : l’idéologie religieuse, l’argent, la vengeance contre les abus réels et perçus du gouvernement, la criminalité, la polarisation ethnique et l’ambition politique. La menace se concentre sur cinq théâtres : le Sahel, la Somalie, le bassin du lac Tchad, le nord du Mozambique et la péninsule égyptienne du Sinaï. Le Sahel et la Somalie ont représenté 77 % de tous les événements violents de ce type au cours de l’année écoulée.

Le Sahel – plus précisément le Mali, le Burkina Faso et le Niger – a connu l’expansion la plus rapide de la violence islamiste militante de tous les théâtres au cours de l’année écoulée. Elle a fait 7 899 morts, soit plus de 40 % du nombre total de victimes à l’échelle du continent. Les groupes à l’origine de cette violence sont le Front de libération du Macina, Ansaroul Islam, Ansar Dine et l’État islamique dans le Grand Sahara.

Les militants islamistes la violence au Sahel s’est également étendue géographiquement. Du nord du Mali, les événements violents se sont déplacés vers les régions plus peuplées du centre et du sud du Mali. Cela inclut la capitale, Bamako, qui a été le théâtre d’attaques de plus en plus régulières après des années d’isolement relatif.

De même, la violence islamiste s’est rapidement répandue dans le nord, l’ouest et l’est du Burkina Faso. Aujourd’hui, le Burkina Faso connaît plus d’événements violents que tout autre pays du Sahel.

Autrefois considérée comme hautement improbable, la possibilité que Bamako et Ouagadougou, respectivement capitales du Mali et du Burkina Faso, tombent sous le contrôle de militants est aujourd’hui bien réelle. Ces deux pays ont été confrontés à un effondrement de la gouvernance et à une accélération de la violence islamiste militante à la suite de coups d’État à partir de 2020.

L’érosion de la sécurité au Burkina Faso menace à son tour les pays limitrophes, en particulier le Togo et le Bénin. Ces deux pays ont connu une augmentation à deux chiffres du nombre d’incidents violents impliquant des groupes islamistes militants au cours de l’année écoulée.

En Somalie, le nombre de morts liées à Al-Shabaab est passé de 2 606 en 2021 à 6 225 en 2022. Cette augmentation de 133 % s’est accompagnée d’une hausse de 29 % des incidents violents. Cela reflète une escalade à la fois du rythme et de la létalité de la violence. Le rythme des combats s’est considérablement accéléré après que le président Hassan Sheikh Mohamud a appelé à une offensive contre al-Shabaab. Chassé des zones qu’il contrôlait autrefois, al-Shabaab est revenu à des représailles contre des cibles faciles. Un exemple est le double attentat à la bombe de Mogadiscio d’octobre 2022 qui a tué plus de 100 personnes.

La région du bassin du lac Tchad (nord du Nigeria, Cameroun, Tchad et sud-est du Niger) a connu une stabilisation de la violence de Boko Haram et de l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWA) en 2022. Toutefois, cela masque une augmentation de 33 % des violences contre les civils. Les attaques se sont également étendues géographiquement du nord-est du Nigéria aux régions de l’ouest et du centre.

Dans le nord du Mozambique, les événements violents liés à Ahlu Sunnah wa Jama’a (ASWJ) ont augmenté de 29 % en 2022. Ils avaient d’abord baissé lorsque les forces de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et du Rwanda étaient intervenues en 2021. Délogé des villes côtières de Palma et de Mocimboa da Praia, l’ASWJ a déplacé ses attaques vers des districts plus à l’ouest et au sud. L’ASWJ est notoirement connu pour ses attaques violentes contre les civils, plus nombreuses que dans n’importe quelle autre région d’Afrique.

L’Afrique du Nord est la seule région qui a connu une baisse d’activité manifeste au cours de l’année écoulée. Le nombre de cas de violences a diminué de 32 %. Environ 90 % de ces incidents, qui ont fait 276 morts, se sont déroulés en Égypte et ont impliqué l’État islamique dans le Sinaï.

Il est temps de repenser la situation

Ces développements soulignent que la trajectoire globale de la violence islamiste militante va dans la mauvaise direction. Les groupes militants africains sont de plus en plus résistants, en particulier au Sahel et en Somalie.

Dans ces deux régions, ces groupes opèrent depuis des années. Ils ont acquis la capacité de recruter, d’entraîner, d’approvisionner et de déployer leurs forces. Surtout, ils sont devenus capables de générer des revenus. Pour ce faire, ils combinent le pillage, l’extorsion, le contrôle des sites miniers et la domination des routes commerciales. Dans la plupart des cas, cela équivaut à une motivation plus criminelle qu’idéologique. Cette résistance opérationnelle et financière suggère que ces groupes ne sont pas près de disparaître.

Le revers de cette réalité est que ces groupes militants prospèrent dans des régions où les gouvernements sont faibles. Ils sont un symptôme de fragilité plutôt qu’une démonstration de force militante. Lorsqu’ils sont confrontés à une force statutaire efficace et compétente, ils subissent de lourdes pertes et sont contraints de battre en retraite.

Cela souligne le rôle central que joue la gouvernance dans la défaite d’une insurrection. L’expérience montre qu’une contre-insurrection efficace nécessite : la légitimité du gouvernement, la volonté politique, le contrôle de la corruption, l’investissement dans les activités de développement et l’atténuation des violations des droits de l’homme, entre autres facteurs. C’est logique. Une campagne de contre-insurrection réussie implique de gagner la confiance et le soutien des populations locales.

L’inefficacité des juntes militaires au Mali et au Burkina Faso en est l’illustration. En plus d’intimider les dissidents et de négliger les services gouvernementaux, la junte malienne, en s’associant au tristement célèbre groupe paramilitaire russe Wagner, s’est rendue complice de violations en série des droits de l’homme.

Quatre sur cinq personnes tuées par le groupe Wagner aux côtés de la junte malienne étaient des civils. Pendant ce temps, la violence islamiste s’intensifie.

Outre le rétablissement de processus de gouvernance légitime, des efforts efficaces de contre-insurrection nécessiteront :

  • – le maintien de la pression sur les groupes militants, notamment en conservant les territoires repris
  • – la protection des civils
  • – le renforcement du soutien aux populations locales en fournissant des services
  • – la coupure des flux de revenus des groupes militants.

Les forces de sécurité régionales

L’expérience de la lutte contre les groupes islamistes militants en Afrique a également mis en évidence le rôle vital joué par les forces de sécurité régionales.

L’AMISOM/ATMIS en Somalie, la SADC au Mozambique et la Multinational Joint Task Force dans le bassin du lac Tchad ont toutes contribué à atténuer les menaces auxquelles elles étaient confrontées, en soutenant les forces gouvernementales débordées.

Les juntes du Mali et du Burkina Faso, quant à elles, ont fait exactement le contraire. Elles se sont aliéné le G-5 Sahel, la Minusma et les forces de l’Union européenne. Il en résulte une réduction considérable du soutien des partenaires en matière de sécurité au moment même où l’activité des militants islamistes s’intensifie.

Les opérations de contre-insurrection efficaces sont difficiles. De plus, le succès n’est pas garanti. Même lorsque les gouvernements légitimes font preuve de volonté politique, il faut en moyenne six ans pour remporter une contre-insurrection.

Les pays africains confrontés à des insurrections et leurs partenaires régionaux doivent se préparer à une longue lutte pour inverser les tendances à la détérioration de la violence des groupes islamistes militants. L’alternative est un militantisme islamiste de plus en plus enhardi et enrichi, avec des ambitions expansives sur les pays voisins.

Joseph Siegle, Director of Research, Africa Center for Strategic Studies, University of Maryland and Wendy Williams, Associate Research Fellow, Africa Center for Strategic Studies

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.