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Après le Burkina, le Mali et le Niger, les « auto-proclamés panafricanistes » militent pour le retrait total des troupes françaises au Tchad

21 septembre 2024
10 min

Début juin 2024, Paris a annoncé la réduction du nombre des soldats français en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Sénégal et au Tchad. À N’Djamena, la nouvelle est accueillie avec peu d’enthousiasme par les organisations de la société civile et les « auto-proclamés panafricanistes » qui militent pour le retrait total des troupes françaises au Tchad. Reportage.

Après le Burkina, le Mali et le Niger, les : « auto-proclamés panafricanistes » militent pour le retrait total des troupes françaises au Tchad

C’est une nouvelle ère qui commence pour la France et ses anciennes colonies en Afrique ? Prise dans la tourmente du sentiment qualifié d’anti-français, qui s’est développé ces dernières années avec l’instauration des régimes civilo-militaires dans cinq États francophones d’Afrique subsaharienne dont quatre du Sahel, après des coups d’État, la politique étrangère française sur le continent ne cesse d’être à nouveau remise en cause, notamment sur le plan militaire.

« Les doctrines d’engagement des armées évoluent constamment en fonction des expériences de terrain. Au Sahel, les armées françaises ont mis en œuvre des conceptions héritées à la fois de leur histoire et des leçons tirées des interventions internationales des récentes décennies : interventions dans les Balkans ou « guerre » contre le terrorisme. En dépit de certains succès, ces conceptions se sont souvent avérées mal adaptées au milieu humain, social et politique des pays du Sahel. », a écrit en résumé la chercheuse Niagalé Bagayoko, dans un article publié en mars 2024 dans « Études de l’Ifri » et intitulé « L’armée française au Sahel :  un corpus doctrinal à l’épreuve ».

Après le départ effectif des soldats français du Mali, du Burkina et du Niger, sur fond de tensions diplomatiques, le président français Emmanuel Macron a dépêché, en mars 2024, Jean-Marie Bokel au Gabon, en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Tchad. Ce dernier est chargé de discuter des nouvelles formes de la présence militaire française en Afrique, que Paris compte nettement réduire. Les premiers chiffres avancés par certaines sources dans les médias restent évasifs.

Sollicité par Tama Média, Dr. Sali Bakari, historien tchadien et spécialiste des questions de sécurité et de paix, estime qu’un réajustement seul suffit pas, vu les discours panafricanistes en vogue actuellement à travers le continent africain. De son analyse, la France peut néanmoins réajuster sa présence militaire mais le sentiment d’anti-présence militaire française restera toujours. « La France peut privilégier d’autres leviers de sa coopération avec l’Afrique tels que les leviers sanitaire, académique et culturel », analyse-t-il.

Au Tchad, les forces françaises sont présentes depuis près d’un demi-siècle grâce à des accords de coopération militaire. Opération Epervier, Serval, Barkhane, ce pays sahélien a servi de base à plusieurs opérations militaires françaises en Afrique. Abritant trois bases importantes, le Tchad demeure jusque-là le maillon clé de la présence militaire française dans le Sahel.

Après les retraits forcés de ses troupes du Mali, du Burkina et du Niger, N’Djamena est devenu le dernier point d’ancrage de Paris dans cette région du continent.

« Nous combattons le système français »

Après le Burkina, le Mali et le Niger, les : « auto-proclamés panafricanistes » militent pour le retrait total des troupes françaises au Tchad

Les premières manifestations contre le déploiement des troupes françaises au Tchad ont commencé avec la mise en place de la transition en avril 2021, après la mort au front du président Idriss Déby Itno. La France, ayant adoubé son fils le général Mahamat Idriss à la tête de la transition, est accusée de soutenir la succession dynastique. À la manœuvre, Wakit Tamma, une plateforme citoyenne réunissant des partis politiques et des associations de la société civile. La manifestation du 14 mai 2022 est la plus remarquable. Des manifestants ont brûlé des drapeaux français et vandalisé des stations-service de l’entreprise française Total Energie. D’autres manifestations initiées dans ce sens, en juillet 2022 et 2023, ont été systématiquement interdites.

En plus de Wakit Tamma, il y a le mouvement Umoja-Toumaï. Cette organisation panafricaine lutte pour le départ des troupes françaises dans le Sahel. Sa branche tchadienne a organisé plusieurs conférences de presse et fait des communiqués appelant la France à retirer ses troupes. En décembre 2023, elle a même donné à Paris un ultimatum de six mois (allant de janvier à juin 2024) pour faire ce retrait. Son porte-parole, Dr. Evariste Ngarlem Toldé salue un progrès. « C’est une initiative plus ou moins forcée, la France n’a pas décidé d’elle-même de partir, on est en train de lui forcer la main. Et c’est un début du commencement », a-t-il apprécié.  Mais l’objectif est loin d’être atteint, dit-il. « Pour nous, la France doit plier bagages, ce n’est pas une diminution ou un retrait en partie. Nous demandons que les bases françaises, neuf en tout, soient démantelées sur tout le territoire tchadien », a-t-il ajouté.

Danibé Doudet, un autre artisan de la lutte pour le départ des troupes françaises du Tchad, tient à faire cette précision : « Nous ne sommes pas contre la France, mais nous combattons le système français, l’ingérence et l’appui inconditionnel apporté au gouvernement, qui ne profite pas au peuple. » Pour cet ancien rebelle, coordinateur des Patriotes (nom du groupe anciennement rebelle), ce n’est pas seulement la présence militaire française qui est combattue. Mais celle de toutes les forces étrangères. « Si nous sommes confrontés à un problème de sécurité quelconque, c’est en ce moment que nous ferons appel à n’importe quel allié pour nous aider. Mais je ne vois pas l’intérêt, pour le moment, que les forces étrangères soient là, en permanence. S’il y a nécessité, il n’y a pas problème », se ravise-t-il.

Depuis plus d’une décennie, la France intervient militairement au Sahel dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. D’abord, l’opération Serval puis Barkhane, elle s’est appuyée sur le Tchad, un allié de taille. Aujourd’hui, cette raison ne tient plus aux yeux de Danibé Doudet. « Si c’est pour lutter contre le terrorisme, l’armée tchadienne peut très bien contenir Boko Haram. Mais le problème avec eux c’est qu’il s’agit d’un groupe terroriste transfrontalier. Si on les  chasse du Tchad et que du côté du Cameroun, du Nigeria ou du Niger (trois pays voisins, NDLR), ils ne sont pas éradiqués, ce groupe jihadiste va toujours revenir », souligne-t-il.

« L’heure est désormais aux actions »

Le départ des troupes françaises du Mali, du Burkina et du Niger ragaillardit les détracteurs de la présence militaire française au Tchad. Malgré les réactions sévères des autorités comprenant arrestations et condamnations, l’espoir n’est pas éteint pour certains militants. « La lutte contre le départ des troupes françaises n’est pas seulement celle d’Umoja-Toumai. Mais c’est un combat de tout un peuple », affirme Dr. Evariste Ngarlem Toldé.  Umoja est un mouvement panafricain qui signifie unité en swahili. Sa branche au Tchad y a ajouté Toumai, un nom tchadien qui veut dire espoir.

En mai 2022, suite à la manifestation de Wakit Tamma, plusieurs leaders ont été interpellés et condamnés à des peines d’emprisonnement avec sursis. Aussi après l’incident de Faya-Largeau (au Nord du pays) où un légionnaire a tué un militaire tchadien, le conseiller national (Conseil national de Transition) Bedei Tolloumi a été arrêté et incarcéré à la Maison d’arrêt de N’Djamena. Pour cause, il avait violemment critiqué la présence militaire française et promis de faire partir les militaires français du Tchad, de gré ou de force.

Du côté des membres d’Umoja-Toumaï, ces répressions du gouvernement ne les dissuadent guère. Ils comptent sur la volonté populaire pour contraindre l’ancienne puissance colonisatrice à démanteler toutes ses bases dans le pays. « Est-ce qu’au Niger, au Mali, au Burkina, les gouvernements avaient donné un coup de pouce à ceux qui étaient contre la présence militaire française ? Non. Les peuples avaient mené leur bataille seuls et ont gagné. Nous aussi », a soutenu Danibé Doudet.  Son collègue, Dr. Evariste Ngarlem Toldé, évoque la fin de l’ultimatum. « Nous avons donné un délai de six mois qui a expiré en juin. L’heure est désormais aux actions », a-t-il signifié.

« Pas en position d’un esclave qui veut changer de maître »

Fin janvier 2024, le président tchadien alors de transition, le général Mahamat Idriss Déby Itno, s’est rendu en Russie. Cette visite officielle a été analysée par plusieurs observateurs comme une volonté de N’Djamena de se rapprocher de Moscou au détriment de son partenaire traditionnel de premier plan, la France. Interprétation que réfute N’Djamena qui n’exclut pas, tout de même, de renforcer ses relations avec Moscou, mettant en avant sa souveraineté.

« Nous ne sommes pas en position d’un esclave qui veut changer de maître. Nous sommes un État souverain, libre de coopérer avec n’importe quel État », a tenu à rappeler le 23 mai dernier le général Mahamat Idriss Déby, lors de son investiture de président élu. En déplacement dans la capitale tchadiene, le ministre russe des Affaires étrangères Serguei Lavrov a réitéré début juin la disponibilité de son pays à appuyer l’État tchadien dans des domaines variés, sans donner plus de détails.

« La Russie n’est pas une solution. Notre salut ne viendra ni de l’Occident ni de l’Orient », assène Danibé Doudet. L’ancien coordinateur des Patriotes estime que tout est question de volonté. « Ni la Russie ni la France ne pourra faire ce que nous voulons à notre place. Tout dépend de notre volonté, si nous avons décidé de faire quelque chose, nous le ferons, sans l’apport des autres », croit-il.

En attendant, les forces françaises au Tchad continuent d’appuyer l’armée tchadienne par des formations, en logistique et les populations dans les domaines sociaux. « Les retours d’expérience tirés de l’engagement de la France au Sahel devront sans doute, pour éviter à l’avenir un échec similaire, être fondés sur un constat lucide, reconnaissant la nécessité pour les acteurs politiques de comprendre avec humilité que la conduite générale d’une intervention extérieure excède largement le champ strictement militaire, ce qui impose de l’inscrire dans une fine compréhension du contexte et des intérêts des différents partenaires au sein des nations hôtes. », conclut Niagalé Bagayoko dans son article « L’armée française au Sahel : un corpus doctrinal à l’épreuve ».

Par Christian Allahadjim

Correspondant à N'Djamena au Tchad