Quarante ans après avoir accueilli, pour la première fois, la Coupe d’Afrique des nations (Can) de football, la Côte d’Ivoire a pensé revivre le même scénario : une élimination dès le premier tour devant son public. Miraculeusement, les Éléphants ont gagné le droit de poursuivre l’aventure au dernier jour de la phase de groupes de la 34e édition. Le reste, un retournement de situation spectaculaire, appartient à l’Histoire.
Par Luc-Roland Kouassi depuis Abidjan, avec la contribution de Youga Ciss et de Bilal Sagaïdou
De la porte de l’enfer au paradis. Tel pourrait être le titre du film retraçant le parcours de la Côte d’Ivoire dans la Coupe d’Afrique des nations (Can) 2023. Une compétition placée sous le sceau de l’hospitalité.
Tout un continent, du 13 janvier au 11 février 2024, a quotidiennement vibré pour sa grand-messe du ballon rond. La Confédération africaine de football (Caf), au terme de la Can, a annoncé avoir recensé 2 milliards de téléspectateurs. Une audience monstre qui fait écho au million et des poussières de personnes ayant foulé le sol ivoirien durant le tournoi.
Le succès de la Can 2023 tient principalement à l’héroïsme des petits poucets face aux grandes nations, aux renversements de situation à peine croyables, au suspense quasi permanent, à la pluie de buts, mais surtout à la trajectoire rocambolesque du pays hôte.
Chouchoutés par un État décidé à laver l’affront de 1984, les Éléphants, sans marquer les esprits, ont assuré l’essentiel lors du match d’ouverture contre la Guinée Bissau.
Si le pion rapidement inscrit par le milieu box to box Séko Fofana a laissé présager une promenade de santé face aux Djurtus, le latéral Serge Aurier et ses comparses se sont fait peur jusqu’au but du break signé Jean-Philippe Krasso.
Opposée au Nigeria, à l’occasion de la 2e journée, la Côte d’Ivoire a raté le premier grand test de sa Can. Le défenseur central Evan Ndicka, piégé par la roublardise de l’avant-centre Victor Osimhen, a commis un pénalty transformé avec un calme olympien par William Troost-Ekong, le capitaine des Super Eagles.
Avec une victoire poussive et une défaite méritée, les Éléphants étaient dos au mur au moment d’en découdre avec la Guinée équatoriale. Ils seront au fond du trou au coup de sifflet final de la rencontre.
Quand Emilio Nsue (photo) a refroidi le stade Alassane Ouattara d’Ébimpé en ouvrant le score, après un slalom dans une défense apathique de Carlos Akapo, le sélectionneur français de la Côte d’Ivoire s’est tenu la tête à deux mains. Jean-Louis Gasset savait peut-être que c’était le début du cauchemar.
Sous les yeux médusés de la légende Didier Drogba, les Ivoiriens, inhibés par l’enjeu, ont complètement perdu le nord. Le Nzalang nacional en a profité pour planter trois autres banderilles. Une addition salée qui a fait craquer les joueurs sur le banc et les supporters en tribunes.
Si les premiers ont pleuré et déversé leur colère sur les objets présents sur le bord de la touche, les seconds ont jeté des bouteilles sur la main courante, le rectangle vert et essayé de pénétrer dans l’enceinte pour solder leurs comptes avec les responsables de cette fessée historique. Ce jour-là, les stadiers avaient fort à faire pour éviter un envahissement de la pelouse. La démission de Yacine Idriss Diallo, le président de la Fédération Ivoirienne de Football (FIF), a été réclamée dans la foulée.
Pour les “ supporters maso ”, surnom des fans ivoiriens habitués aux soubresauts d’une équipe imprévisible, la phase de poules s’achevait sur une déroute. Dans un village de l’arrière-pays, une vieille femme, accusée d’avoir jeté un mauvais sort à Ghislain Konan et compagnie, a failli être lynchée par la foule en furie.
L’électrochoc
Après ce non-match, la Côte d’Ivoire n’était plus maître de son destin. Alors pas du tout avec trois points seulement au compteur et une différence de buts négative. Elle devait dès lors attendre le dénouement dans les autres groupes. Jean-Louis Gasset et Ghislain Printant, pour « insuffisance de résultats », ont été démis de leurs fonctions d’entraîneur principal et d’adjoint par la FIF. Jamais dans l’Histoire de la Can, une équipe toujours en vie n’a viré son coach à ce stade de la compétition.
Émerse Faé, adjoint dans le cadre d’un staff technique renforcé, a été propulsé à la tête des Éléphants pour sauver ce qui pouvait encore l’être. Mais avant même d’avoir la certitude de poursuivre l’aventure parmi les quatre meilleurs troisièmes du premier tour, le pays hôte s’est mis à rêver d’un retour d’Hervé Renard, champion d’Afrique avec les Éléphants en 2015 après avoir été sur le toit du continent avec la Zambie en 2012 en battant en finale… la Côte d’Ivoire.
Il faut dire que ce « sorcier blanc » est passé maître dans l’art de remettre sur les rails un groupe ayant le moral dans les chaussettes. Malgré l’intérêt de la FIF manifesté auprès de la Fédération Française de Football (FFF), l’employeur de Renard, le technicien de 55 ans aux méthodes de management éprouvées n’a pas eu l’opportunité de relever un défi immense.
« Les négociations n’ont pas abouti favorablement. C’est que cela ne devait pas se réaliser. J’aurais adoré, mais le destin en a décidé autrement », a réagi sur les réseaux sociaux le sélectionneur de l’Arabie saoudite à la Coupe du monde 2022 au Qatar.
Faé n’a certainement pas apprécié cette tergiversation de la FIF. Aussi brève soit-il, ce feuilleton a montré à la face du monde que les dirigeants n’avaient pas une totale confiance en ses capacités pour redresser la barre en cas de qualification miraculeuse. L’ancien international ivoirien, aidé par le consultant de Canal+ Guy Demel appelé à la rescousse, a transformé les doutes en forces.
À la faveur de la courte victoire du Maroc face à la Zambie (1-0), les Éléphants sont revenus d’entre les morts pour s’emparer du dernier ticket qualificatif pour la phase à élimination directe. Le peuple ivoirien a fêté ce résultat avec faste, inventant pour l’occasion un chant sarcastique : « On ne vaut rien, mais on est qualifiés ».
Le Sénégal, tenant du titre ayant survolé sa poule avec trois succès nets et sans bavures, était l’adversaire de la Côte d’Ivoire en huitièmes de finale. Loin d’Ébimpé, théâtre de leurs tourments, les Éléphants ont repris des couleurs à Yamoussoukro où les Lions dictaient leur loi. Dans un match mal engagé, après une merveille de volée de l’attaquant de pointe sénégalais Habib Diallo terminant au fond des filets, la Côte d’Ivoire a joué avec les tripes pour égaliser sur un penalty tiré par Franck Kessié (1-1) avant de l’emporter dans la séance fatidique des tirs au but (5-4).
Ce soir-là, Faé a effectué des choix forts dans le onze de départ avec les titularisations d’Odilon Kossounou en défense, de Jean-Michaël Seri au milieu et de Max-Alain Gradel en attaque. Trois joueurs qui jusque-là faisaient banquette. Sébastien Haller, Christian Kouamé et Nicolas Pépé, en sortie de banc, ont davantage fragilisé l’équilibre défensif du Sénégal.
En quarts de finale, à Bouaké, les Éléphants ont eu toutes les peines du monde face au Mali. Les Aigles étaient imprenables durant la majeure partie de la rencontre. Dans le premier acte de ce derby sous-régional, la Côte d’Ivoire a subi un pénalty arrêté par son gardien Yahia Fofana et écopé d’un carton rouge par l’intermédiaire de Kossounou, complètement à la rue.
Au retour des vestiaires, le Mali, en supériorité numérique, a pris l’avantage sur un exquis enroulé de Nene Dorgeles, le natif de Yopougon. Un double coup du sort qui aurait fait flancher pas mal d’équipes. Mais Faé avait façonné une formation avec un mental à toute épreuve. Elle a intelligemment fait le dos rond pendant les vagues adverses et puiser dans ses dernières ressources en fin de partie pour renverser la vapeur.
Blessé au début de la Can, Simon Adingra (photo), le grand espoir du foot ivoirien, a remis les pendules à l’heure à la 90e minute. Infatigable sur son couloir, Oumar Diakité a été récompensé de ses efforts en marquant sur le gong le but de la victoire d’une subtile talonnade après une reprise instantanée de Séko Fofana sur un mauvais renvoi de la défense malienne à la suite d’un coup franc.
L’apothéose
En demi-finale, la République Démocratique du Congo s’est dressée sur la route de la Côte d’Ivoire. Grâce à un Sébastien Haller retrouvé, les Éléphants ont vaincu sans coup férir les Léopards.
L’imposant attaquant, à la réception d’un centre au cordeau de Gradel, a écarté ses grands compas pour reprendre la balle de volée et battre le portier congolais Lionel Mpasi. La Côte d’Ivoire s’est ainsi qualifiée en finale de sa Can. Depuis 2006 et l’Égypte, aucun pays hôte n’avait connu pareil sort.
Bluffant par la solidité de sa défense à cinq avec trois axiaux, le Nigeria avançait vers la finale avec le vent dans le dos. Sa star Osimhen, Meilleur joueur africain de l’année 2023, s’est mise au service du collectif dans le but de décrocher la quatrième étoile, onze ans après la troisième conquise en Afrique du Sud.
Les Super Eagles avaient un ascendant psychologique sur les Éléphants lors du premier duel. Une confiance confortée par l’Histoire de la Can. En effet, dans les éditions où deux sélections ont croisé le fer en phase de groupes et en finale, l’équipe victorieuse de la première confrontation s’est toujours imposée en finale. Ce fut le cas en 1990 (Algérie – Nigeria), en 2008 (Égypte – Cameroun) et en 2019 (Algérie – Sénégal).
Puisque que « cabri mort n’a pas peur de couteau », les Éléphants ressuscités croyaient en leur étoile. Menés au score contre le cours du jeu, après un coup de tête de Troost-Ekong, les soldats de Faé ont remis l’ouvrage sur le métier. Leur persévérance a porté ses fruits avec l’égalisation de Kessié sur un corner frappé par Simon Adingra.
Dans un grand soir, l’ailier de Brighton, en Premier League anglaise, a par la suite mystifié son vis-à-vis Ola Aina pour donner le ballon du sacre à Sébastien Haller. De la semelle, au nez et à la barbe de Troost-Ekong, le sociétaire du Borussia Dortmund, en Bundesliga allemande, a transporté avec lui tout un peuple au septième ciel.
Cette Côte d’Ivoire aux deux visages dans une même Can a placé trois joueurs dans le onze-type de la compétition : Ghislain Konan (défense), Jean-Michaël Seri et Franck Kessié (milieu). Emerse Faé a été élu meilleur entraîneur et Simon Adingra, meilleur jeune joueur. À 40 ans, Faé a été maintenu au poste de sélectionneur. Il a signé un contrat de deux ans renouvelable.
Le président Alassane Ouattara, premier supporter des Éléphants, a distribué des primes à la hauteur de l’exploit. 100 millions F CFA pour Faé, 400 millions F CFA pour le reste du staff technique, 50 millions F CFA et une villa de la même valeur pour tous les joueurs. La Can 2023 a été « sucrée » pour la Côte d’Ivoire, gagnante sur tous les tableaux.