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Conflit au Soudan : comment le Tchad se retrouve au centre de toutes les convoitises 

24 mai 2023
5 min

En plus d’être particulièrement exposé à une situation qui menace sa frontière à l’est, le Tchad est soumis à d’intenses pressions et sollicitations d’acteurs étrangers impliqués dans la guerre civile soudanaise. Décryptage. 


Tribune par : Adrien Poussou consultant, analyste géopolitique, et ancien ministre centrafricain de la Communication et de la Réconciliation nationale.

tchad soudan
Le président de transition au Tchad Mahamat Idriss Déby Itno et le président du conseil souverain de transition du Soudan, Abdel Fattah Al-Burhan, lors d’une rencontre à N’Djamena.

Guerre au Soudan : l’Égypte, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis en coulisse

Ce n’est pas un hasard si les deux généraux en guerre pour le pouvoir au Soudan – le chef de l’armée Abdel Fattah al-Burhane et le patron des redoutés paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) Mohamed Hamdane Daglo dit « Hemetti » – rechignent à signer un cessez-le-feu pour mettre fin à la confrontation : c’est parce qu’ils comptent sur leurs parrains extérieurs et qu’ils sont certains de pouvoir l’emporter militairement. 

Autrement dit, les pourparlers qui se sont tenus à Djeddah, entre le 5 et le 11 mai, sous l’égide de l’Arabie Saoudite et des États-Unis, n’avaient aucune chance d’aboutir à cause des nombreuses interférences étrangères alimentant les violences sur le terrain. 

Le président du Soudan du Sud, Salva Kiir, chargé par l’Igad, le bloc régional d’Afrique de l’Est auquel appartient Khartoum, n’a pas tort de fustiger « tous ceux qui veulent s’immiscer dans les affaires intérieures du Soudan » et de privilégier les « solutions africaines aux problèmes africains ». Pour la simple et la bonne raison que les parrains extérieurs impliqués dans cette guerre civile soudanaise alimentent la confrontation et font perdurer le conflit, craignant de voir l’un des protagonistes emporter la victoire, tant ils ont beaucoup à perdre. 

Le Tchad sollicité par les deux parties

C’est dans ce contexte que le Tchad est au centre de toutes les convoitises. On le sait, le président tchadien suit de près ce dossier. Nous sommes en mesure de révéler qu’une délégation envoyée par les Émirats arabes unis, qui alimentent le conflit soudanais en soutenant les Forces de soutien rapide du général « Hemetti » est arrivée à N’Djamena tard dans la nuit du 30 avril au 1er mai 2023, à bord d’un avion spécial. Cette délégation, qui est restée quelques heures seulement sur place, a été reçue par le président tchadien, Mahamat Idriss Deby Itno ; elle est venue plaider la cause du chef des FSR et solliciter l’accord préalable des autorités tchadiennes pour utiliser leur territoire – frontalier du Darfour – afin de fournir des équipements militaires dont a besoin leur allié pour poursuivre la guerre. 

Ce soutien d’Abu Dhabi au général « Hemetti » est loin d’être philanthropique, puisque la production des mines d’or du Darfour, détenu par le patron des FSR, est exclusivement vendue aux Émirats, et les recettes ainsi générées servent à payer les troupes ; un accord commercial exclusif lie les deux parties. Selon nos informations, Abou Dhabi a également mis à la disposition de Mohamed Hamdane Daglo tous ses réseaux d’influence, allant de cabinets de conseils au think tank. À en croire de nombreuses sources, même Israël figure parmi les pays qui œuvrent pour le rival du général al-Burhane, à l’instigation des Émirats. 

Comme il fallait s’y attendre, l’Égypte, dont le président, Abdel Fattah al-Sissi, ne cache pas son inquiétude quant aux conséquences de la crise soudanaise sur son pays, et qui appris qu’une délégation envoyée par Abu Dhabi est arrivée à N’Djamena pour plaider la cause du général « Hemetti », y a dépêché son ministre des Affaires étrangères, Sameh Hassan Shoukry, le 8 mai dernier. Le chef de la diplomatie égyptienne s’est longuement entretenu avec Mahamat Idriss Deby Itno, l’invitant à observer une stricte « neutralité ». 

Si l’on en croit un ministre très au fait de la situation en cours, le ministre égyptien n’a pas manqué de rappeler à son interlocuteur, l’implication de son pays dans la résolution de la crise tchadienne. L’on se souvient qu’en décembre 2020, l’Égypte avait arrêté et incarcéré Tom Erdimi, un des principaux opposants au pouvoir de la famille Déby, avant de le faire bénéficier d’une grâce présidentielle décidée par Abdel Fattah al-Sissi, vraisemblablement à la demande du Tchad, après que son frère jumeau Timan Erdimi, ait accepté de participer au dialogue national à N’Djamena. 

Il est évident qu’en raison de sa proximité avec l’Arabie Saoudite, l’Égypte voit d’un mauvais œil les actions menées par le rival du chef de l’armée soudanaise. Faut-il le rappeler, la quasi-totalité des ressources agricoles de l’Arabie Saoudite proviennent du Soudan, qui est également le principal fournisseur du royaume en bétail. Grâce à des centaines de milliers d’hectares de terres cultivables qui lui ont été cédés par les autorités soudanaises, l’Arabie Saoudite assure la sécurité alimentaire de ses populations. Autre sujet d’inquiétude pour Ryad, qui occupe l’autre rive de la très stratégique mer Rouge dont les protagonistes de la guerre civile soudanaise se disputent le contrôle des ports, c’est que l’instabilité ainsi créée, ne sera pas sans conséquences sur ses approvisionnements.