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Mali : Comment expliquer la recrudescence des attaques djihadistes ?

10 janvier 2023
10 min
Mali djihadistes

Depuis quelques mois le Mali dirigé par une junte militaire fait face à une recrudescence des attaques djihadistes, aucune région du pays n’est plus épargnée, avec de plus en plus d’attaques aussi aux portes de la capitale Bamako. Une détérioration de la situation sécuritaire alors que ce mercredi 11 janvier 2023 marque le dixième anniversaire du lancement de l’intervention française dans le pays.

Le 11 janvier 2013, c’était il y a dix ans, la France lançait l’opération militaire Serval à l’appel des autorités maliennes de l’époque pour éviter que les groupes djihadistes, qui contrôlaient déjà les grandes villes du Nord du pays, ne parviennent à marcher sur la capitale Bamako. Dix ans après, le Mali n’en a pas fini avec le terrorisme. Autopsie d’une crise multidimensionnelle. 

Les populations paient le plus lourd tribut

“Chaque jour que Dieu fait est un jour d’attaque au Mali. Il n’y a plus un jour ici sans attaque djihadiste, on ne sait plus quoi faire, à Dieu seul nous nous remettons, nous sommes livrés à nous-mêmes, ce sont les djihadistes les maîtres et personne d’autre. Il n’y a pas d’État, ici c’est le chacun pour soi Dieu pour tous”. Au téléphone on sent la voix nouée de Dolo. “C’est dur mais je m’empêche de pleurer devant les enfants, je ne reconnais plus mon pays, quand allons-nous venir à bout de ces terroristes ? ”, s’interroge-t-il. Habitant de Bankass dans la région de Mopti, Dolo a arrêté dit-il de compter le nombre de proches qu’il a perdus ces derniers mois dans les différentes attaques djihadistes qui ont eu lieu dans la zone.

Bastion de la Katiba Macina dirigée par le prédicateur Hamadoun Koufa, la région de Mopti où se situe Bankass est l’une des régions les plus meurtries par le terrorisme depuis trois ans. 

Mais les attaques terroristes ne sont plus une affaire du centre ou du nord, comme c’était le cas il y a encore quatre ou cinq ans. C’est désormais tout le territoire malien qui est concerné avec des attaques –  les unes plus macabres que les autres et relayées à coup de tweets et de communiqués par la direction de l’information de l’armée.

Une frappe au cœur du pouvoir 

Considérée comme l’endroit le plus sécurisé du pays, la ville garnison de Kati, lieu de résidence du président de la transition Assimi Goïta et de son ministre de la Défense Sadio Camara, a été à son tour prise pour cible par deux kamikazes le 22 juillet 2022 à la surprise de beaucoup de maliens et d’experts. La ville de Kati, tout un symbole. C’est dans ce camp militaire que tous les derniers coups d’État du Mali ont été préparés. Un sanctuaire près de la capitale Bamako qui était jusqu’à présent épargné par les djihadistes.

Dans un communiqué, le chef d’Etat Major de l’armée malienne avait évoqué un bilan de 1 mort et de 6 blessés dont un civil et 7 terroristes neutralisés, et 8 interpellés.

Le lendemain, l’attaque sera revendiquée par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (le Jnim) qui a prêté allégeance à Al-Qaida. “Nous disons au gouvernement de Bamako : si vous avez le droit d’engager un mercenaire [en référence aux paramilitaires russes du groupe Wagner] pour tuer des innocents sans défense, alors il est de notre droit de vous détruire également”, explique le groupe djihadiste dans son communiqué qui précise qu’il visait bien la résidence du président Assimi Goïta et son ministre de la Défense.

Une cristallisation des tensions depuis l’arrivée de Wagner  ?

Wagner Mali
Des présumés mercenaires russes montent à bord d’un hélicoptère dans le nord du Mali.

Ce n’est pas la première fois que les groupes djihadistes évoquent le recrutement des mercenaires russes par Bamako pour justifier des attaques. 

Dans un communiqué publié en Avril 2022, le GSIM avait déjà annoncé la capture d’un soldat du groupe Wagner dans la région de Ségou. “Ces forces meurtrières ont participé avec l’armée malienne à une opération de parachutage sur un marché dans le village de Moura, où elles ont affronté plusieurs moudjahidines avant d’encercler cette localité pendant cinq jours et tuer des centaines de civils innocent”, avait justifié le groupe jihadiste. 

La véracité de cette prise d’otage reste difficile à prouver mais une chose est certaine : l’arrivée de Wagner a cristallisé les tensions, selon plusieurs experts.

“Cette présence des mercenaires russes que le gouvernement refuse toujours de reconnaître a radicalisé en quelque sorte les groupes djihadistes qui sont aujourd’hui dans une stratégie de vengeance vis-à-vis des mercenaires russes qu’ils accusent de tuer des innocents par la bénédiction des autorités de Bamako qui les a fait venir”, analyse un expert malien qui pense que la tension s’est accrue notamment depuis le massacre de Moura en mars 2022 lors duquel entre 200 et 400 civils et quelques jihadistes avaient été exécutés. Les mercenaires russes avaient participé à cette opération aux côtés de l’armée malienne qui défend avoir visé uniquement des terroristes en neutralisant 203 d’entre eux. Mais de nombreux témoignages recueillis par les ONG et différents médias confirment le massacre de plusieurs civils innocents lors de l’opération. 

Après ce massacre de Moura, le chef de la Katiba Macina est sorti de son silence en juin 2022 pour donner sa version des faits dans une courte vidéo. Hamadoun Koufa incrimine alors l’armée malienne et ses supplétifs russes : “Quand ils ont attaqué au marché, les moudjahidines qui étaient sur place ont défendu leurs frères musulmans. Ils ont tué des centaines d’innocents isolés et fait prisonniers des dizaines de malheureux. Ces gens n’étaient pas, comme ils le prétendent dans leurs médias mensongers, tous des moudjahidines. Il n’y en avait qu’une trentaine parmi eux”, assure le chef djihâdiste qui avait juré de venger les morts de cette tuerie. 

Depuis, les actes de vengeance des djihadistes se sont effectivement multipliés sur tout le territoire jusqu’à l’attaque de Kati qui rentre selon leur communiqué dans la stratégie de vengeance : “Les héros de la victoire de l’islam et des musulmans en défense des opprimés et en représailles pour les faibles, ont mené des attaques près de la résidence du président de la Transition et de celle du ministre de la Défense”.

Les FAMAs, l’une des armées les plus puissantes au monde ?

Armee malienne

Depuis deux ans maintenant, les nouvelles autorités communiquent régulièrement autour de ce qu’elle appelle la “montée en puissance de l’armée”. Une expression qui signifie que l’armée malienne est désormais plus efficace, mieux armée et surtout qu’elle engrange de véritables succès face aux djihadistes, épaulée par les combattants du groupe Wagner ( des succès relayés aussi massivement sur les différents comptes réseaux sociaux de la direction de l’information de l’armée), loin de l’image que l’armée malienne avait sous le règne de l’ex-président Ibrahim Boubacar Keïta, une période pendant laquelle, selon le pouvoir actuel, l’armée malienne “engrangeait” les défaites, et humiliations sur humiliations. 

“Aujourd’hui, c’est l’armée malienne qui terrorise les terroristes, la peur a changé de camp, notre objectif est que d’ici un an nous puissions pacifier complètement le pays.”, clamait haut et fort Choguel Maïga, quelques semaines après sa nomination au poste de Premier ministre. Le chef du gouvernement est même allé plus loin en présentant les FAMAs (les forces armées maliennes) dans certains de ses discours comme « l’une des armées les plus puissantes au monde ». Une exagération assumée du Premier ministre dont l’objectif était de rassurer les populations et de justifier le coup d’État de mars 2020. Néanmoins plusieurs experts militaires indépendants et les partenaires internationaux du pays reconnaissent que l’armée malienne s’est davantage professionnalisée ces dernières années avec des hommes mieux armés et plus offensifs qu’ils ne l’étaient avant.

“Mais cela ne veut pas dire que tout d’un coup l’armée malienne est devenue l’armée la plus puissante du monde, capable de faire face toute seule aux groupes djihadistes, elle reste sous équipée et peu formée, la preuve, le gouvernement a dû faire appel aux mercenaires russes et depuis le départ de la force française Barkhane on assiste à une recrudescence des attaques djihadistes. Certes Barkhane a un bilan mitigé mais elle permettait au moins de limiter la casse, en ciblant des chefs djihadistes, en livrant du renseignement, et en épaulant l’armée malienne avec des moyens aériens en cas d’attaque”, analyse un spécialiste des armées ouest-africaines.

Une montée en puissance” des djihadistes depuis le départ de Barkhane ?

Retrait Barkhane

Alors la recrudescence des attaques djihadistes depuis le retrait de Barkhane, est-ce une coïncidence ou faut-il y voir une corrélation ?

“Il y a clairement une intensification des attaques et une diversification. Koulikoro et Kayes étaient des zones jusqu’à présent relativement épargnées par les djihadistes, donc il y a une extension territoriale de la menace. Les djihadistes cherchent à démontrer la limite de la stratégie post-Barkhane », commente Seidik Abba, journaliste et spécialiste du Sahel. « Après le départ de Barkhane, les autorités maliennes ont annoncé qu’une nouvelle stratégie était en place et quelques résultats ont été présentés. Les djihadistes ont la volonté de faire la démonstration de la limite de cette stratégie et toutes ces attaques qui sont menées participent de l’agenda des groupes terroristes de faire la démonstration que la situation ne s’est pas améliorée au Mali, elle continue même de se dégrader ».

L’auteur de “Mali-Sahel, notre Afghanistan à nous ?” poursuit : “L’attaque de Kati peut affaiblir aussi l’argumentaire de la junte qui a consisté à dire qu’avec le départ de Barkhane nous nous sommes associés à d’autres alliés et avec ces autres alliés nous sommes sûrs de remporter la lutte antiterroriste, ce discours trouve ses limites avec cette attaque ». 

Aujourd’hui on a la preuve de la limite de la valeur ajoutée des mercenaires russes, il n’y a aucune valeur ajoutée de Wagner sinon ils sont venus pour remplacer d’autres partenaires, on a la preuve que leur arrivée n’a rien apporté. La junte doit plutôt inscrire la lutte contre le terrorisme au Mali dans la réponse régionale avec le retour du Mali au G5 avec une meilleure coordination avec les voisins nigeriens et burkinabés.”

C’est dans ce contexte que depuis quelques semaines plusieurs rumeurs sur les réseaux sociaux font état d’un début de retrait des mercenaires Wagner du Mali pour se concentrer sur l’Ukraine où le groupe est également engagé aux côtés de l’armée régulière russe, tandis que la posture de Bamako à l’égard de la MINUSMA tendrait à se détendre, l’exigence d’un retrait à court terme n’étant plus à l’ordre du jour.