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Olivier Dubois raconté par sa sœur Canèle Bernard

20 mars 2023
16 min

Le journaliste français Olivier Dubois a été libéré ce lundi 20 mars après près de deux ans de captivité dans le Sahel. Depuis son enlèvement, ses confrères journalistes, amis et sa famille étaient très mobilisés pour obtenir sa libération. En novembre 2022, sa sœur Canèle Bernard avait accordé une longue interview à Tama Média, dans laquelle elle retraçait le parcours de son frère et les valeurs journalistiques qui animent cet homme qui aime “conter les histoires des autres.”

Le journaliste français Olivier Dubois a été libéré ce lundi 20 mars après près de deux ans de captivité dans le Sahel. Depuis son enlèvement, ses confrères journalistes, amis et sa famille étaient très mobilisés pour obtenir sa libération. En novembre 2022, sa soeur Canaèle Bernard avait accordé une longue interview à Tama Média, dans laquelle elle retraçait le parcours de son frère et les valeurs journalistiques qui animent cet homme qui aime "conter les histoires des autres."
Canèle Bernard, la sœur d’Olivier Dubois et Benjamin Fouquoire, son beau-frère. Photo archives Le DL /Yoann GAVOILLE

Quand Olivier Dubois retrouvera-t-il la liberté ? Le journaliste français a été enlevé au Mali le 8 avril 2021. Un an et demi plus tard, sa famille attend toujours son retour. Après avoir gardé le silence les premiers mois de sa captivité, ses proches tentent désormais de mobiliser la société française et malienne. Sa sœur, Canèle Bernard, nous a accordé une longue interview dans laquelle elle interpelle le président français Emmanuel Macron. Et assure que le président malien, Assimi Goïta, a un rôle à jouer aussi.

Votre frère exerce un métier prenant et passionnant. Pouvez-vous nous raconter pourquoi il a choisi d’être journaliste?

Avant d’être un journaliste, Olivier est un passionné de cinéma. Lorsqu’il était plus jeune, dans les années 1995, dans la ville d’Avignon qui est sa ville d’origine, il avait intégré une classe cinéma au lycée. Le cinéma est une passion intrinsèque chez lui depuis l’enfance. Ce que Olivier aime dans le cinéma, c’est finalement regarder des histoires et qu’on lui conte des histoires à travers ces images. Je me souviens qu’il avait fait quelques reportages, comme Poilorama pour Arte creative en 2012, avant d’en faire son métier. Nous avions même eu l’occasion de créer un reportage ensemble à New York sur les Real Life Super Hero. Ce qui l’a conduit au journalisme, c’est finalement de lier cette passion cinématographique avec celle de conter des histoires. Conter les histoires des autres, c’est ce qu’il aime faire. D’ailleurs si vous avez l’occasion de le rencontrer, ce qui est super avec lui, c’est qu’il aurait toujours beaucoup de questions à vous poser, pas par curiosité mal placée, mais simplement parce qu’il s’intéresse à vous.

Comment, au fil de sa carrière, il s’est retrouvé à exercer au Mali ?

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Au départ, il est parti de Paris pour suivre sa compagne de l’époque, la mère de ses enfants avec laquelle  il est séparé depuis. Il y est resté parce que c’est un pays qu’il adore, un pays dans lequel il a décidé de s’établir parce qu’il y a beaucoup de choses à raconter sur le Mali, beaucoup d’informations à nous faire part, à nous, qui sommes en Europe et qui ne connaissons pas bien ce pays. Quoi de mieux pour lui que de continuer ce métier dans ce pays qu’il aime aussi et qui est le Mali, son pays de cœur qui est en pleine évolution, pays qu’il raconte de manière sociétale et culturelle. C’est pour ça qu’il a continué d’exercer au Mali. En 2015, lorsque Olivier est parti de Paris pour habiter au Mali, à Bamako, le Mali qui est son pays de cœur, il est devenu rédacteur en chef du site web du Journal du Mali. C’est pour cela qu’Olivier exerce ce métier-là: raconter l’histoire des gens, raconter les cultures, raconter ce qu’il se passe dans le monde et notamment au Mali. Comme tous les reporters, Olivier représente une presse libre dont la mission est de récolter partout dans le monde les données nécessaires à notre bonne information à tous. C’est très important que l’on continue d’informer la population, en France comme à l’étranger. Quelle que soit la dangerosité ou non du terrain. La liberté de la presse est une priorité.

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Pour ceux qui ne connaissent pas Olivier Dubois, pouvez-vous nous décrire votre frère ?

Olivier Dubois, c’est mon grand frère. Il est né le 6 août 1974 à Créteil. Enfant, alors que nous vivions dans le petit village de Mazan, dans le sud de la France, il était déjà très ouvert sur les autres, à leur écoute mais jamais dans le jugement. Olivier est quelqu’un de réfléchi, actif, curieux, optimiste, très intéressé par le domaine de la culture, à la fois grand marcheur et gourmand (passion qui lui viennent de sa mère). Il avait déjà le goût du voyage (ce qui lui vient de son père de cœur suisse, mon père, qui l’a toujours élevé depuis sa petite enfance). Il a beaucoup voyagé, en Asie, au Moyen Orient, au Canada notamment. Son charisme en fait quelqu’un de très chaleureux, il fait confiance aux gens qu’il rencontre. Il est toujours entouré de beaucoup d’amis et de nouvelles rencontres. Plus jeune, je me souviens que c’était un ado typique des années 80, il a toujours aimé le sport, les jeux vidéos, il a toujours aimé découvrir des choses. Je vous décris le Olivier Dubois que j’ai toujours connu, celui avec lequel j’ai grandi. Mais aujourd’hui, qui est Olivier Dubois? C’est le dernier otage français dans le monde depuis le 8 avril 2021 (579 jours au moment où nous nous parlons) et surtout un otage dont on parle peu.

Olivier Dubois a été enlevé le 8 avril 2021 à Gao. Deux vidéos ont été diffusées par ses ravisseurs. Comment faîtes-vous pour garder espoir et tenir en attendant son retour ?

Depuis son enlèvement nous oscillons entre espoir et surtout désespoir. Entre incompréhension et colère. En tant que famille d’otage, nous nous sentons comme Olivier, pris en otage de cette situation qu’il subit et aussi de cette distance entre les gouvernements concernés et nous, de cette absence d’informations. Nous nous sentons délaissés, abandonnés par les États concernés. Si c’est  ce que nous ressentons, imaginez ce que Olivier, lui, ressent depuis 579 jours…Imaginez la mère d’Olivier? Qu’est ce qu’il y de plus important que l’amour d’une mère pour son enfant? Les sentiments cités précédemment sont d’autant plus décuplés pour elle. L’angoisse est quotidienne depuis l’enlèvement. Même si nous nous sentons par ricochet, otages de la situation, nous n’oublions jamais que Olivier est le vrai captif, seul dans le désert et que c’est à lui qu’il faut porter soutien et action. Pour que ce désespoir ne soit pas une fatalité, nous mettons en place des actions factuelles de mobilisation. Au niveau national, comme l’opération, “Pour Olivier Dubois, une carte postale à Emmanuel Macron”, que nous avions initiée le 5 août 2022, la veille de son anniversaire. Au niveau international, avec notre pétition “Olivier Dubois” sur Change.org qui demande sa libération car le djihadisme n’a pas de frontières et frappe partout, sans distinction de territoire. Cette pétition pour Olivier, victime de ce djihadisme, requiert la signature de tous. Aujourd’hui le dernier otage français s’appelle Olivier Dubois mais pourrait porter n’importe quel nom, pratiquer n’importe quel métier et se retrouver dans la même situation que celle de mon frère. Parler uniquement d’Olivier Dubois ne le conduira pas, malheureusement,  à sa libération. En revanche, agir à notre niveau à tous, en signant cette pétition est une aide factuelle et substantielle pour faire entendre la voix d’Olivier auprès des États concernés, la France et le Mali. 

Quelles sont ses ressources (vous qui connaissez si bien votre frère) pour tenir et garder espoir en attendant sa libération ?

Même si on a grandi avec Olivier et qu’on a une parfaite connaissance de son caractère et de sa manière de réagir dans certaines situations bien sûr, il reste extrêmement difficile, extrêmement ardu d’imaginer comment ce dernier fait pour tenir au quotidien et garder espoir en attendant sa libération. Dans la vie de tous les jours, même si votre nature est d’être vaillant, résilient, adaptable à diverses situations, Olivier est dans une situation de vie qui est extrêmement exceptionnelle. Bien malin est celui ou celle qui pourrait répondre à cette question-là. On a pu lire ça et là dans la presse, qu’il est probable d’imaginer que, Olivier qui est un fin gourmet, pourrait être amené à cuisiner pour ses geôliers ou qu’ils pourraient deviser tous ensemble autour d’un feu. Je rappelle tout de même que même s’il a les pieds dans le sable, mon frère Olivier n’est pas du tout en camp de vacances. Il est quotidiennement détenu par le JNIM, des hommes qui sont en armes, capables de défendre leurs idées jusqu’à la mort et qu’il est privé de sa liberté et de ses mouvements. Il est privé de tout, tout le temps depuis 579 jours soit plus d’un an et demi maintenant sans aucune possibilité de libération annoncée depuis. Dans ce que vit Olivier, il n’y a ni plaisir ni répit. Dans ces conditions et d’après les deux dernières preuves de vie et de vidéos, il apparaît de plus en plus fatigué. Nous nous demandons bien de quelles ressources il dispose chaque jour pour tenir jusqu’à sa libération et pendant combien de temps pourra t-il les faire perdurer? Bien malin est vraiment celui ou celle qui pourra répondre à cette question tant qu’il ne vit pas cette situation. On espère aussi qu’il a toujours la notion du temps. La mère d’Olivier, Benjamin, son beau-frère et moi-même, sommes très inquiets. C’est pourquoi nous n’avons cessé de répéter, dès que faire se peut, que sa situation est extrêmement urgente et que nous demandons sa libération rapide. Ce qui est certain, c’est qu’à sa libération, Olivier aura besoin de se reconstruire, tout comme nous.

Vous avez organisé des actions de sensibilisation  pour mobiliser le grand public autour de sa libération. Avez-vous le sentiment d’être suffisamment entendus ?

Depuis son enlèvement, nous avons mené beaucoup d’actions de communication pour essayer de mettre Olivier au cœur du débat public. Le 6 janvier nous avons lancé une pétition, “Olivier Dubois” sur Change.org qui compte maintenant plus de 117 000 signataires. Cette pétition a été relayée et signée par des journalistes, des sportifs, des acteurs comme Omar Sy par exemple. Nous avons aussi pour les 1 an de sa captivité (le 8 avril 2022) réalisé une vidéo de soutien (diffusée sur les antennes de France TV et France Info) dans laquelle des journalistes comme Florence Aubenas, Elise Lucet, des artistes comme  IAM et des gens moins connus y apparaissent pour maintenir ce soutien et alerter sur la situation d’Olivier. En juillet, le Festival d’Avignon a mis à l’honneur Olivier Dubois à travers des textes, des programmes d’entrée, notre pétition affichée sur la Mairie, des banderoles partout dans la ville et sur le site du festival, une vidéo projection de son portrait  sur les remparts de la ville. Le 5 août dernier, nous avons créé l’opération une carte postale à Emmanuel Macron pour Olivier Dubois pour que chaque citoyen puisse agir  pour Olivier auprès du  président français. En septembre, nous avons clôturé cette action pour les 17 mois de captivité d’Olivier, en envoyant une vidéo à Emmanuel Macron dans laquelle nous interpellons directement le président français avec toujours cette question: “Quand Olivier Dubois journaliste, rentrera-t-il en France ? 500 jours. Libérons Olivier Dubois.” Cette action a permis de mettre Olivier au cœur de l’actualité nationale et internationale. Malgré toutes ces  actions menées pour Olivier, avec le concours de milliers de citoyens qui se posent les mêmes questions que nous sur sa captivité tout comme sur sa libération, il semble que cela ne suffise pas à faire entendre notre requête auprès du président français. Nous restons toujours en attente de la réponse à notre question: “Quand Olivier Dubois, journaliste, rentrera-t-il en France?”

Même si grâce à nos actions de communication, on commence à connaître son nom, Olivier reste un otage dont on ne parle pas ou peu. Pourquoi? C’est anormal. Il est temps d’agir pour ce citoyen. Que faut-il que notre famille, qui sans cesse essaie de relayer auprès des officiels concernés, la voix d’Olivier, fasse pour être entendue? Il y a là un effort à faire en matière de traitement des familles d’otages de la part des Etats concernés. Depuis son enlèvement nous n’avons toujours pas de contact direct, ni avec Emmanuel Macron, ni avec Mr Assimi Goïta. Nous leur demandons de ne pas nous tenir à l’écart. Par le passé, le Mali a prouvé qu’il était un acteur incontournable en matière de libération d’otages, nous comptons donc sur son expérience en la matière.

Demandez-vous à être reçu par Emmanuel Macron ?

Nous demandons effectivement de lier contact avec le président de la République française. Nous avons besoin de le rencontrer. Nous avons besoin de savoir ce qui est entrepris pour la libération d’Olivier car nous pensons qu’au bout de 579 jours de captivité (au moment où nous parlons), nous devrions être informés de ce qui se passe pour lui. Comment fait-on aujourd’hui pour vivre quotidiennement alors que nous ne savons rien de sa situation? Nous avons besoin de lier contact avec les officiels en charge du dossier d’Olivier.

Que peuvent faire les Français.es et les Malien.nes pour vous soutenir ?

Ne pas oublier Olivier Dubois, parler de lui est une chose, malheureusement insuffisante car cela ne le conduira pas à sa libération. Des milliers de vues sur une vidéo de soutien, c’est bien mais cela ne vaut pas une signature de pétition qui est une action d’utilité publique forte. Chaque famille peut s’identifier à notre situation. La lutte contre le djihadisme est l’affaire de tous. Cela vaut pour Olivier Dubois et tous les otages anciens, actuels et malheureusement certainement à venir. C’est pourquoi, pour soutenir Olivier et notre Famille “Olivier Dubois journaliste”, nous demandons à tous les Francais.es et Malien.nes de rejoindre notre famille en signant notre pétition Olivier Dubois sur Change.org. Plus nombreux nous serons à le faire, plus nombreux nous serons à porter la voix d’Olivier auprès des décideurs. Signer cette pétition, c’est être acteur de sa libération et faire entendre votre voix. 

D’autres journalistes français ont été pris en otage. Votre frère est le seul dont la captivité est aussi longue. Est-ce que la mobilisation de ses confrères et des médias doit s’accentuer davantage ?

D’autres français ont été pris en otage dont des humanitaires, des salariés d’entreprise et des journalistes notamment. Pour certains d’entre eux, le rappel de leur situation et de leur captivité se faisait de manière hebdomadaire voire quotidienne à la télévision, il y avait aussi des rappels réguliers dans la presse écrite. Nous aimerions qu’il en soit de même pour Olivier qui est captif tous les jours dans le désert et pas uniquement le 8 du mois, le 8 avril 2021 étant la date où l’on rappelle mensuellement sa situation au sein des médias. Pour nous (sa mère, son beau-frère et moi, sa sœur), Olivier est avant tout un fils, un frère, un beau-frère, un père, c’est un être humain, tout simplement. Les fédérations européennes et internationales de journalistes ont souligné dans un communiqué que ce sont en grande partie, les pigistes comme Olivier qui couvrent les zones dangereuses, sans aide financière ajoutée, sans logistique, sans technique et aide psychologique. Nous aimerions que dans ces conditions d’exercice de la profession, chaque journaliste relaie plus régulièrement et ouvertement sa situation au-delà du 8 de chaque mois. Nous aimerions aussi que chaque journaliste relaie activement notre pétition à l’entrée des groupes de presse, à la télévision, par exemple. Si Olivier n’était pas journaliste, est-ce que cela changerait quelque chose à sa détention? Cette pétition concerne tous les citoyens, quel que soit leur corps de métier. Le dernier otage s’appelle Olivier mais cela pourrait arriver à n’importe quel autre journaliste, n’importe quel autre corps de métier pourrait se retrouver dans cette situation. D’une manière générale, nous espérons que chaque mairie de France puisse, à l’image de la mairie d’Avignon, afficher de son propre chef une banderole avec la photo d’Olivier et la mention de la pétition “Olivier Dubois” sur change.org

Pour finir, un mot pour Olivier Dubois. Quel message adressez-vous à votre frère ?

Vous savez, les lambdas comme nous ne se racontent pas, si ce n’est auprès des familles d’otages avec lesquelles nous sommes en contact. Ce qu’on espère, c’est qu’un dénouement rapide lui permettra de lire à son retour le journal que nous lui tenons tous les jours ainsi que tous les documents et articles de presse, les médias que nous lui avons gardé pour qu’il sache comment sa situation a été perçue et relayée en France comme au Mali et dans les autres pays étrangers. Et pour qu’il sache aussi de quelle manière le monde a continué de tourner dans l’attente de son retour. Conformément à sa demande, dans la dernière vidéo qui est parue, dans laquelle il dit notamment: “ à tous ceux qui œuvrent de près ou de loin à ma libération, s’il vous plaît continuez de le faire”. La mère d’Olivier, Benjamin (son beau-frère) et moi, sa sœur, continuerons pour lui. C’est notre preuve de soutien, c’est notre preuve d’engagement pour lui.