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Tchad : brouille diplomatique avec l’Allemagne, quelles conséquences ?

26 avril 2023
8 min

Entre N’Djamena et Berlin, la ligne diplomatique est brouillée depuis l’expulsion de l’ambassadeur d’Allemagne au Tchad à la surprise générale d’un bon nombre d’observateurs. Grande contributrice de l’Union européenne, l’Allemagne était jusqu’à présent un acteur-clé dans le processus de transition en cours dans le pays. En se dressant contre ce partenaire géant, que risque le Tchad ? Quelles conséquences sur le processus de transition ? Analyse de la situation avec Dr Yamingué Betinbaye, Directeur de recherche au Centre de recherche en Anthropologie et Sciences humaines (CRASH) à N’Djamena.

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Dr Yamingué Betinbaye, Directeur de recherche au Centre de recherche en Anthropologie et Sciences humaines (CRASH)

Le 7 avril dernier, le Tchad a expulsé l’ambassadeur d’Allemagne sous prétexte que celui-ci a une attitude discourtoise. Ce qui, visiblement, n’a pas convaincu Berlin qui a appliqué la réciprocité. Pensez-vous que N’Djamena a-t-il bien fait d’engager cette bataille ? 

Le Tchad a choisi contre toute attente d’expulser l’Ambassadeur d’Allemagne, utilisant différentes rhétoriques pour justifier cette expulsion. Le ministère de la Communication a parlé d’attitude discourtoise ; le ministère des Affaires étrangères a avancé des pratiques diplomatiques inappropriées tel que prévu par la Convention de Vienne. Tout cela s’est fait de manière rapide avec très peu de clarifications au départ. Ce qui a amené l’Allemagne à réagir en arguant que son diplomate a été expulsé pour des raisons incompréhensibles. C’est plus tard que le ministre de la Communication a fait une sortie pour donner des clarifications qui sont restées moins convaincantes. Ce que tout le monde sait, c’est que les autorités de transition reprochent au diplomate son ton de liberté avec des prises de position sur, ce que le gouvernement appelle, les « affaires tchadiennes.» En fait, le diplomate allemand réagissait sur le rythme de la transition qu’il considère comme étant relativement lent et qui ne permettait pas un retour à l’ordre constitutionnel dans le délai imparti. Deuxièmement, l’ambassadeur allemand s’exprimait aussi sur la question des droits de l’Homme. Il déplorait une gestion peu orthodoxe de l’après-répression des manifestations du 20 octobre 2022

Evidemment, comme on pouvait s’y attendre, bien que les autorités tchadiennes aient indiqué que leur colère était orientée envers la personne de l’ambassadeur et non de l’Allemagne, et que cela ne devait pas compromettre les relations entre les deux pays, Berlin a décidé d’appliquer la réciprocité en expulsant l’ambassadrice du Tchad. A ce niveau, il faut dire que le Tchad n’a pas bien fait d’engager cette bataille. Car cela ne servait pas à grand-chose, de choisir d’enclencher une brouille diplomatique avec un grand pays comme l’Allemagne qui est est aussi un grand contributeur dans les institutions internationales. Donc choisir dans un contexte d’incertitude comme celui de la transition actuelle de se brouiller avec un acteur comme l’Allemagne n’est pas une option bien réfléchie, à mon avis.

ambassadeur allemand au Tchad
L’ambassadeur allemand au Tchad, Gordon Kricke, expulsé

Quelles seront alors les conséquences économiques et politiques à court et à long terme de cette crise diplomatique ?

Les conséquences ont commencé à se faire sentir. La première est le ralentissement des relations qui existent entre les deux pays. Et cela dessert plus le Tchad que l’Allemagne. Les investissements allemands sur le territoire seront reconsidérés. L’apport de l’Allemagne en faveur de la gestion de la transition par le canal de l’Union européenne pourrait prendre un coup à échéance, parce que l’Allemagne pourrait estimer qu’étant indésirable au Tchad, elle ne peut pas apporter une contribution de quelque nature que ce soit au processus. Dans ce cas, cela affecterait la cagnotte de l’UE pour l’animation et le fonctionnement des activités prévues dans le cadre de la transition. Et puis de par sa place dans les institutions internationales, l’Allemagne pourrait aussi décider de se fermer à toutes initiatives en direction du Tchad. 

L’Union européenne et la France, partenaires de premier plan du Tchad, ont déploré la décision qu’ont prise les autorités de N’Djamena. Elles ont même qualifié l’attitude des autorités tchadiennes d’hostile. Comment expliquer ce revirement venant de ces partenaires qui soutiennent la transition tchadienne dès le début ? 

L’UE a réagi presque aussitôt, la France avec un peu de retard. Qu’à cela ne tienne, le fait que ces deux acteurs se soient prononcés contre la position tchadienne marque un tournant dans la prise de position des acteurs internationaux sur le processus de transition. Parce qu’afficher leur hostilité vient contredire un peu ce qu’on a vu jusqu’à présent. Depuis le début de la transition, les autorités tchadiennes semblent bénéficier de plus de complaisance. Ce qui explique en partie la  grande liberté que ces autorités ont dû prendre vis-à-vis des partenaires comme l’Allemagne. Pour éviter que le Tchad ne prenne encore plus la grosse tête, il fallait que les partenaires internationaux affichent une posture plus ferme. Aujourd’hui, le pouvoir en place à N’Djamena n’est pas un pouvoir investi par le peuple. Donc même si le contexte dans lequel le pouvoir est installé à N’Djamena s’avère particulier au regard de certaines dispositions des textes internationaux, cela ne justifie pas la légitimité de ce pouvoir. Et c’est pour ça que les acteurs internationaux devraient régulièrement faire ce genre de rappel pour que les autorités de N’Djamena soient résolument engagées à travailler pour un retour à l’ordre constitutionnel indépendamment des agendas parallèles qui ne favoriseraient rien du tout. La réaction de la France apparaît comme une sonnette d’alarme importante en direction des autorités tchadiennes qui finiraient par comprendre que même les acteurs, considérés comme acquis à leur cause, le font en tenant compte du contexte. 

ambassadrice tchad allemagne tama media
L’ambassadrice tchadienne à Berlin, Mariam Ali Moussa, expulsée

Quels risques  à court terme pour le Tchad, vu qu’il attend de ses partenaires tels que l’UE, la France, l’Allemagne, le financement du processus de transition qui doit aboutir à un retour à l’ordre constitutionnel dans 24 mois ? 

Très clairement le Tchad court le risque d’avoir des difficultés de conduire le processus de la transition à son terme dans le délai requis. D’abord le Tchad est un pays économiquement faible  et fragile qui dépend des partenaires pour la conduite d’une bonne partie des actions publiques. Ensuite on sait que presque l’ensemble du budget de la transition est porté par des acteurs internationaux. Si on ne fait pas attention à ménager les partenariats, on risque d’être à court de moyens. 

L’organisation du référendum constitutionnel est conditionnée, dans une note officielle des autorités tchadiennes, par la mise à la disposition du Tchad d’une enveloppe de 38 milliards FCFA qui viendrait presque entièrement des partenaires internationaux. Et si en même temps, il y a une brouille avec les partenaires internationaux, cela risquerait de ne pas permettre au Tchad d’avoir ces ressources dans les délais et donc d’organiser ce référendum dans les délais. Ce qui pourrait avoir comme conséquence de prolonger une fois encore la transition. Et je crois que ce n’est pas le souhait des Tchadiens.

Beaucoup d’hommes politiques tchadiens affirment que le gouvernement verse dans le chantage pour faire taire les voix discordantes. Pensez-vous que c’est le cas avec l’ambassadeur allemand qui, dit-on, fait trop de commentaires négatifs sur la transition ?

Ce n’est pas totalement faux. En choisissant d’expulser l’ambassadeur allemand, les autorités de transition semblent tenter une stratégie : celle de dissuader les partenaires internationaux qui s’intéressent à la gestion de la transition. Et c’est visiblement une manœuvre pour faire comprendre à tous les acteurs internationaux que ce sont les dirigeants de la transition qui ont les commandes en main. Donc tout acteur qui serait tenté d’aller à l’encontre de la posture officielle pourrait se voir purement et simplement éconduit du processus. Et c’est sûrement à cause de cela que pour certains acteurs en interne, cette expulsion apparaît comme du chantage. Mais c’est à un mauvais jeu que les dirigeants actuels se prêtent. En le faisant, ils n’ont pas pu obtenir gain de cause parce que la réaction de l’Allemagne a été plus ferme qu’attendu (avec la décision d’appliquer la réciprocité et d’expulser l’ambassadrice tchadienne en Allemagne). En plus, il y a la réaction de désapprobation d’autres partenaires de taille tels que l’UE et la France. Ce qui jette un léger discrédit sur les dirigeants de la transition.

Par Christian Allahadjim

Correspondant à N'Djamena au Tchad